Il peut arriver à chacun de nous de se laisser aller quelques instants à des rêveries, ballotés que nous sommes au milieu de ce tohu-bohu généralisé. Si on savait distinctement l’amplitude et les conséquences qu’avait chaque décision prise juste après le 14 janvier 2011, comment serait la Tunisie ?
Si le fâcheux conseil de Hédi Baccouche à Mohamed Ghannouchi de permettre aux islamistes de l’extérieur de revenir si rapidement, avant la stabilisation du pays, n’avait pas été retenu, la situation aurait été moins embrouillée. Le débarquement inopiné de personnages dont les desseins sont notoirement connus n’avait fait que rendre la conjoncture encore plus ingérable, avec des gouvernants déliquescents et sur leurs gardes.
Si, au lieu de se précipiter tête baissée vers une constituante, qui s’est révélée être un désastre absolu, la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution etc, etc… avait décidé de charger un groupe de constitutionnalistes et de sages de proposer au terme d’un délai de trois mois une constitution remaniée ou une nouvelle, on aurait gagné beaucoup de temps et d’énergie pour faire redémarrer le pays.
Nous aurions évité aux Tunisiens le supplice d’un spectacle dégradant, animé par les combines des bigots de service avec leurs demi feintes, de demi vérité, du quasi mensonge et des loyautés de caméléon, mais aussi les jactances de curieux personnages, tous plus répugnants les uns que les autres!
Si un gouvernement de salut public composé de politiques et de techniciens avait été formé pour administrer le pays et gérer l’économie tunisienne pendant une période donnée sous le contrôle de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution etc, etc…, la situation économique et sociale ne serait pas dans cet état de dégradation.
Si les islamistes de tous bords avaient renoncé à faire de la religion leur fonds de commerce pour empoisonner la vie des Tunisiens et manœuvrer sans relâche pour imposer leur projet totalitaire, il n’y aurait pas eu d’assassinats politiques, ni de clivages entre Tunisiens, on serait plus sereins et mieux concentrés pour résoudre les vrais problèmes de développement.
Et si le candidat du «vote utile» en avait été un véritable, plus loyal vis-à-vis de ses électrices et électeurs, fidèle à ses promesses et ses engagements… au lieu de leur tourner le dos, en s’adonnant pieds et poings liés à ceux qui défigurent la Tunisie et en démantelant la machine qui a servi à son ascension pour des raisons qui demeurent obscures…
On pourrait inventer des scénarios alternatifs radieux à partir d’hypothèses conceptuelles ou décliner d’autres probabilités moins avantageuses à l’infini. On a beau tourner et retourner les situations, en refaire le scénario à l’infini, ça ne change rien au problème. L’insoutenable incertitude actuelle qui fait surgir ces visions stimulantes, en s’amusant à faire «comme si», nous replonge finalement dans la réalité confuse.
Soyez donc ignorants, diraient les mandataires publics qui font semblant de gouverner ce pays! Laissez vos vies être bousculées au gré des borborygmes de vos chers et très coûteux politiciens. En fait, dans ces conditions, on devrait se contenter du slogan lancé à l’époque du stalinisme pour énoncer que le plan quinquennal serait accompli sur une période de quatre ans!
Relisons, pour faire passer le temps, Orwell et Eugene Lyons qui avaient intitulé un chapitre de leur livre Mission à Utopia « 2 + 2 = 5 », en référence au livre 1984! Peut être qu’un jour, nos rêves de naïfs Tunisiens prendront forme avec une classe politique plus consciencieuse et moins faisandée.