Le juge se trouve dans une position d’ultime rempart de l’Etat de droit face aux dérives du pouvoir majoritaire dans les démocraties américaine et israélienne.
Aux Etats-Unis, le « Muslim-ban » décrété par le président Donald Trump a été suspendu par un juge fédéral de Washington au nom du respect de la Constitution.
Quant à la Cour suprême israélienne, elle va devoir apprécier la constitutionnalité de la loi qui vient d’être adoptée par la Knesset, autorisant l’expropriation des propriétaires palestiniens de terrains privés situés en Cisjordanie occupée. Si le juge israélien devait confirmer cette loi illégale au regard du droit international, le régime israélien basculerait définitivement et officiellement dans un régime colonial.
Il est a priori paradoxal que de tels enjeux soient tranchés, arbitrés en dernier ressort par le juge et non par le pouvoir politique. Juridiquement, le dernier mot ne revient pas au juge en réalité, mais au pouvoir constituant souverain ; il n’empêche, les démocraties contemporaines se caractérisent par la centralité de la fonction juridictionnelle, véritable contre-pouvoir au pouvoir majoritaire.
Le constitutionnalisme contemporain est caractérisé à la fois par l’activation de l’exigence démocratique, par l’action des citoyens dans le processus politique et un encadrement plus strict du pouvoir des représentants, via la logique de l’Etat de droit.
Le concept d’Etat de droit renvoie à l’idée de subordination du pouvoir politique au droit, à la Raison juridique, laquelle revendique avec succès une certaine autonomie. Ce faisant, le concept de démocratie (électorale), synonyme de simple règne de la volonté, se trouve relégué à un second rang.
L’Etat de droit se trouve mis au centre des débats philosophiques et politiques concernant le statut et le rôle de l’Etat : la référence à l’Etat de droit sert désormais à étayer la revendication d’une meilleure protection face à l’interventionnisme étatique et à l’abus possible des majorités démocratiques.
La protection de ce principe est assurée par des mécanismes de contrôle censés assurer une protection contre l’arbitraire et encadrer l’exercice du pouvoir. Si les exigences de l’Etat de droit font contrepoids à la volonté qui se dégage du système majoritaire, elles ne sont pas contraires à la démocratie majoritaire. Celle-ci n’exclut pas la faculté de contrôler la volonté de la majorité. Les gouvernants ne bénéficient pas d’un blanc-seing pour gouverner entre deux élections. Ainsi, dans la logique du constitutionnalisme moderne, l’Etat de doit est-il inhérent au modèle?
La juridicisation de la vie sociale et politique a contribué à la revalorisation du juge et à l’institution d’un contre-pouvoir juridictionnel qui s’inscrit pleinement dans le mouvement d’affirmation de l’Etat de droit et de la démocratie constitutionnelle.
La montée en puissance institutionnelle du juge lui a permis de s’ériger en « pouvoir juridictionnel », c’est-à-dire « le pouvoir appartenant aux juridictions de dire le droit avec force de vérité légale et d’exprimer ainsi la souveraineté nationale dans le domaine propre de leur compétence tel qu’il résulte de la Constitution, des lois et des règlements (…). Les décisions de justice, actes juridictionnels, donnent lieu à l’exercice du pouvoir de contrainte caractéristique de la puissance étatique » (T. Renoux).
Le juge peut contrôler les actes du pouvoir exécutif et même ceux du pouvoir législatif. Le phénomène induit une modification de la hiérarchie des normes juridiques et de l’équilibre institutionnel au sein de l’Etat.
Devenu l’interlocuteur des pouvoirs exécutif et législatif, le juge mue en contre-pouvoir qui l’amène à assurer un rôle de « modérateur du pouvoir politique » et à encadrer la démocratie majoritaire.
Le pouvoir juridictionnel ne se borne plus à exercer une fonction judiciaire, et s’affirme comme un contre-pouvoir institutionnel, dans l’Etat, « capable de se dresser contre les autres pouvoirs [y compris le législateur] et d’assurer l’Etat de droit » (E. Zoller).