Le Centre des Jeunes Dirigeants d’Entreprise (CJD) et la Konrad-Adenauer-Stiftung ont organisé jeudi 23 février un déjeûner débat sur le thème : « le financement de la loi de finances : les difficultés des PME tunisiennes », et ce, en présence de Slim Feriani, PDG de la BFPME, Mme Boutheina Ben Yaghlane, DG de la CDC et Mme Sihem Nemsia, DGEF ainsi que d’imminentes personnalités représentants de banques, de la SOTUGAR, du ministère des finances et de plusieurs institutions financières publiques et privées.
Ouvrant le débat, Mme Wafa Laamiri, Présidente nationale du CJD a souligné que les quatre difficultés de financement de la PME dans tous les cycles de vie de l’entreprise à savoir la création, l’exploitation, le développement voire la restructuration sont essentiellement liées à :
- Un problème de garantie et de manque de prise de risque des banques
- Un problème de rigidité et d’instruments adaptés
- Au coût des crédits
- Au problème des fonds propres
« Le Cadre légal est non incitatif comme la dernière loi de 2011 sur les activités des SICARS. Le Global Entrepreunership Index 2017 classe la Tunisie 42 sur 137 sauf que le ratio le plus faible de l’index est celui de l’acceptation de risque et là la Tunisie est loin derrière la moyenne mondiale », a-t-elle ajouté.
Mme Laamiri a précisé qu’il y a un problème dans les politiques publiques qui ne tracent pas de stratégie pour l’accès au financement par le renforcement du système bancaire, le renforcement des fonds propres, par les incitations financières avec une absence totale de système d’évaluation des dispositions prises dans les différentes lois de finances qui se sont succédé.
Samir Bechouel, Directeur général de l’APII a, à cette occasion, présenté le rapport d’une étude réalisée au profit de l’Agence de promotion de l’industrie et de l’innovation (APII). Ce rapport a donné plusieurs constats :
- Le financement constitue la première difficulté pour la création et le développement des entreprises;
- Délais très longs et absence de système d’information en interne faible;
- Décision centralisée;
- Système de déblocage par tranche inadapté;
- Aversion au risque;
- Manque de compétences dans les régions.
Récemment nommé à la tête de la BFPME, Slim Firiani a tenu à rappeler que sur les 500 dossiers de financement, 50 seulement ont été approuvés. Cela prouve qu’il existe un problème dans les régions même si 60% des dossiers approuvés par la BFPME sont dans les zones défavorisées, il faut donc accentuer cette tendance tout en étant équitable. Le même rapport relève que 30000 emplois ont été créés par 1500 projets financés par la BFPME.
Mme Bouthaina Ben Yaghlane, Directrice générale de la Caisse des Depôts et des Consignations (CDC), a fait savoir que les entrepreneurs ont fait preuve de persévérance et pas uniquement pour la question de financement mais sur plusieurs volets. La CDC en Tunisie est un organisme récent par rapport à d’autre pays : elle existe en France depuis 200 ans et au Maroc depuis 1959. Son rôle est le financement des projets structurants à caractère national dans le secteur public, privé ou dans le cadre d’un PPP, elle joue aussi un rôle de dynamisation du marché
Selon une étude de la BERD, les banques commerciales ne financent que les grands projets car il représente un niveau de risque moindre. « La CDC essaie de booster les prises de risques, à ce titre, 10 organismes où la CDC a des participations, 67 entreprises financées à travers des FCPR de manière indirecte », a précisé Mme ben Yaghlane.
Notons que la CDC dispose de plusieurs fonds spécifiques :
- CDC Gestion : fond de gestion
- CDC Croissance : accompagnement et développement des entreprises
- Fond de colocalisation avec BPI France : accompagnement des entreprises tunisiennes à s’installer en France et vice versa
Mme Ben Yaghlane considère que le problème n’est pas uniquement au niveau du financement mais aussi dans l’absence d’accompagnement. Dans ce sens une convention a été signée entre la CDC et l’APII pour l’accompagnement des PME.
Tahar Hatira, PDG de la SOTUGAR a, pour sa part, rappelé que la SOTUGAR offre un service à ceux qui financent la BFPME. Elle fournit une garantie aux organismes qui financent les PME. Elle fournit donc une garantie indirecte aux PME. La SOTUGAR a un délai moyen de réponse de deux semaines et ne demande aucune exigence supplémentaire.
Pour Zakaria Belkhodja (Fond d’investissement privé MENNINX HOLDING), il faut plutôt dynamiser le réseau de PME existant : développer et encourager les PME qui ont un nombre important d’employés au lieu de créer des nouvelles avec peu de salariés. « Il vaut mieux créer 100 entreprises avec un total de 1000 postes d’emploi que de créer 1000 entreprises avec un seul poste d’emploi », estime-t-il.
Mme Sihem Nemssia du ministère de finances pense qu’il n’y a pas de relation directe entre le financement et la loi de finances. Celle-ci intervient plus dans le cadre des incitations fiscales et des exonérations pour les fonds d’investissement.
Mme Mouna Allani du Réseau Entreprendre a regretté l’absence des incitations fiscales dans le secteur du tourisme dans la nouvelle loi des incitations fiscales. Le réseau entreprendre fournit aux PME un service d’accompagnement à travers des mentors ainsi qu’un prêt sans intérêt à ses lauréats après études et validation des dossiers. Le réseau existe depuis 2010, compte 200 adhérents et est présent dans 7 régions en Tunisie
Mme Sihem Nemssia du ministère de finances a rappelé que La loi des incitations fiscales vise 3 objectifs :
- Réduction des taux d’imposition
- L’élargissement de l’assiette de l’impôt
- Rationalisation des incitations fiscales
Madame Sihem Nemssia a indiqué qu’il n’y a pas que les incitations fiscales, plusieurs incitations financières figurent dans les décrets d’application du nouveau code d’investissement. La vision générale est d’encourager les secteurs présumés prioritaires : Agriculture, Développement régional et l’Export. Plusieurs avantages ont été octroyés à des projets qui n’ont en pas besoin.
« 1 milliard d’euros a été dépensé pour favoriser la création des entreprises et des startups et rien n’a été fait pour améliorer leur environnement. Le taux de survie au bout de trois ans est très faible, les PME se retrouve à leurs naissances sous capitalisées », déplore Mondher Khanfir (Carthage Business Angels).
Pour M. Khanfir, il est indispensable d’assouplir les formalités administratives. Le financement n’est pas un service public, il existe un problème de formation et d’information au niveau des banques.
Hella Kaddour Fourati (Tunisian American Entreprise Fund – TAEF), a recommandé qu’il serait intéressant d’avoir une enquête auprès des institutions financières pour connaitre leurs raisons de refus de financement des PME. « Il existe un problème de législation pour certains mécanismes de financement : un fond mezzanine a été géré depuis l’étranger en absence de cadre légal en Tunisie, ce fond rencontre une grande réussite », dit-elle.
Optimiste, Slim Feriani a souligné qu’on est passé par 6 ans difficiles mais la situation va se redresser dans les années à venir. « La stabilité politique est assurée et la sécurité est en continuelle amélioration et elle se stabilise. Sur le plan macroéconomique les chiffres vont s’améliorer et la croissance sera en moyenne de 3% pour l’année à venir », a-t-il précisé à la fin de son intervention.
Pour Tarek Ben Abdallah, Co-fondateur et responsable des opérations en Afrique du nord chez Afrikwity et CoFundy, il faut s’intéresser aux finances alternatives et participatives comme le Crowdfunding. Ce mode de financement ne cesse d’évoluer dans le monde : 15 milliards de dollars en 2015 puis 16 Milliards en 2016.
Une législation est fortement nécessaire pour permettre à ses nouvelles méthodes de financement d’évoluer et d’exister en Tunisie.