Dans la Tunisie post-révolutionnaire, dans la Tunisie de 2017, l’accès aux services publics n’est toujours pas garanti à tous les citoyens. Pour un trop grand nombre de Tunisiens, l’accessibilité à l’eau, à l’électricité, à la santé ou même à l’instruction ne vont pas de soi et relèvent parfois de l’idéal. Pourtant, il s’agit là d’un droit inhérent à la citoyenneté.
La notion de citoyenneté fonde la légitimité politique des sociétés démocratiques et est la source du lien social. L’Etat-nation démocratique classique, dont les principes ont été proclamés par les révolutions américaines et française, assied sa légitimité sur l’idée du citoyen. Celui-ci est défini par un ensemble de droits et devoirs, lesquels sont garantis et sanctionnés sur la base d’un principe abstrait : l’égalité civile, juridique et politique.
La citoyenneté est étroitement liée aux droits de l’Homme. Si les droits-libertés garantissent les droits des citoyens contre le pouvoir de l’Etat en leur assurant les libertés individuelles- de penser, de s’exprimer, de culte, de travailler, de commerce, etc.-, les droits-créances définissent les droits que détiennent les individus sur l’Etat, en vertu desquels ils peuvent l’obliger à lui rendre des services : droit à la protection sociale, au travail, à l’instruction… Or, ces droits économiques et sociaux ne sont pas du même ordre que les droits politiques qui définissent le cœur de l’idée de citoyenneté.
La conception classique de citoyenneté est critiquée tant sur le plan des faits que des valeurs. Une nouvelle conception de la citoyenneté, de nature économique et sociale, s’affirme et fonde une nouvelle pratique démocratique. Ainsi, la citoyenneté ne devrait plus être définie seulement par un ensemble de droits politiques, mais aussi par les droits-créances. Dans ce cadre se dessinent les contours d’une «citoyenneté sociale», comprise comme le moyen de fédérer divers valeurs et besoins exprimés par la collectivité. L’accès aux services d’intérêt général est une manifestation de la solidarité sociale et constitue un facteur de socialisation de l’usager. Quels sentiments peuvent éprouver les citoyens qui ne bénéficient ni du réseau de l’eau potable, ni de celui de l’électricité et du gaz,… du seul fait de leur situation sociale ou géographique? Exclus de la vie de la collectivité, ne risquent-ils pas de marquer leur indifférence pour la chose publique? Certes, l’existence des conditions matérielles du développement de nos sociétés n’est pas en elle-même une garantie de démocratie ni de citoyenneté, mais on peut raisonnablement douter que la citoyenneté puisse s’épanouir dans un contexte de déficience chronique ou d’accessibilité sélective aux services d’intérêt général.
Les services publics doivent être conçus comme un mode d’organisation de la société mettant l’accent sur l’importance du lien social et de la justice sociale : il importe de garantir à chaque citoyen, quels que soient son niveau de revenu et son lieu d’habitation, l’accès à un ensemble de biens et de services. Un tel principe doit en permanence se mouvoir dans une double logique de cohésion sociale et de lutte contre l’exclusion de ressources qui représentent les conditions du lien social et de la protection sociale. De même qu’«il ne peut y avoir de développement sans une bonne administration publique» (G. Braibant), ce développement passe par l’accès aux services de réseaux de l’eau, du gaz, de l’électricité, etc.
Le rapport citoyenneté/accès aux services publics revêt une dimension métajuridique. A l’instar de la citoyenneté, le service public est une expression juridique d’une philosophie politique. Les notions de citoyenneté et de service public ont émergé progressivement d’une construction juridique, doctrinale et politique, complémentaire du système d’intégration sociale. Aussi la citoyenneté comme le service public sont mus par une logique égalitaire et constituent des figures symboliques de l’intérêt général. Ces notions sont opératoires au-delà du strict champ juridique. En effet, la théorie du service public apparaît au début du XXe siècle, au moment où l’Etat se mue en «Etat-providence». Les services publics sont alors perçus comme l’instrument permettant à l’intérêt général de transcender les intérêts particuliers et d’assurer l’égalité sociale.
En ce sens, le service public reflète une certaine conception des rapports entre le pouvoir et l’individu. Cette conception est précisément axée sur la notion d’intérêt général, finalité profonde de la mission des services publics. En effet, «la satisfaction de l’intérêt général constitue le but de tout service public, qu’il soit de caractère administratif, industriel ou commercial, qu’il soit géré par une personne publique ou par une personne privée» (G. J. Guglielmi et G. Koubi). Compte tenu des enjeux que recèlent des notions comme la citoyenneté et le service public, derrière tout débat sémantique les concernant, il y a des catégories mentales et des concepts juridiques : mais aussi des structures industrielles, des stratégies économiques, des conséquences sociales.
La question de l’accès des citoyens aux services publics est étroitement liée à la conception de la citoyenneté. Cette problématique acquiert toute sa signification dans les enjeux de la transition démocratique tunisienne.