Pour mieux comprendre le contexte et les enjeux géopolitiques de l’échiquier mondial, Riadh Sidaoui, politologue et directeur du Centre arabe de recherche et d’analyse politique (CARAPS), livre son analyse sur le sujet… Interview:
Comment voyez-vous la configuration de l’échiquier mondial après la victoire de Trump, la montée du Front national en France, le Brexit?
Le monde change et est en train de changer rapidement. Ceci se passe en Syrie quand les Russes et les Chinois ont utilisé le droit de veto à l’ONU concernant le conflit syrien. D’ailleurs, les Russes ont même menacé de déclencher une 3 ème guerre mondiale afin de protéger ces espaces vitaux, à savoir la Syrie.Tout comme il faut se rappeler que depuis la crise 2008 qu’a connue l’Europe et les USA, une crise plus profonde que celle de 1929 qui a beaucoup pesé sur la société européenne et américaine au moment où la classe moyenne s’est sentie menacée dans son existence. Cela dit, avec les crises économiques et sociales, cela entraîne bien souvent une montée de l’extrême droite et de l’extrême gauche de l’après 1929, notamment les fascistes et les nazis devenus par la suite des partis populaires. Et des années plus tard, en Europe rien ne change du moment que c’est le centre qui gouverne. La victoire de Trump a renversé la donne indépendamment des médias qui l’ont complètement zappé. Je me souviens de ces élections, étant invité sur France 24, le 9 novembre à 4h du matin pour analyser les premiers résultats, et j’étais sûr que Trump serait le gagnant malgré tous les sondages d’opinion et la campagne de diabolisation. Mais ce qu’il faut comprendre aussi cette diabolisation quand elle s’accumule elle pourrait donner un résultat contraire du premier objectif. Le monde aujourd’hui veut du changement comme ce fut le cas en Tunisie, en 2011. Ce qui explique la montée de l’extrême droite, le discours nationaliste, un discours anti-mondialisation.
Croyez-vous que cette mondialisation est inhumaine?
Oui, absolument. La mondialisation d’aujourd’hui est une mondialisation des Holdings et des multinationales. Prenons l’exemple du paquet de Marlboro qui fait le tour du monde sans passer par les douanes, alors que l’être humain qui a plus de valeur que le Malboro, s’il n’est pas dans un pays riche, il est pris en otage dans son propre pays. D’où la politique des visas, de l’immigration et de la discrimination. Autant il existe une mondialisation économique, parallèlement il y a une fermeture purement humaine. A titre d’exemple, les Tunisiens voyageaient dans toute l’Europe dans les années 80 sans visa, aujourd’hui ce n’est plus le cas. La fermeture du système européen contre les Maghrébins est bel et bien présent. Oui les Européens veulent une mondialisation économique, mais dès qu’il s’agit de l’être humain, c’est un discours d’hypocrisie qui perd toute crédibilité.
Connaîtra-t-on la fin des organisations terroristes?
Ce que j’ai publié dans mon livre « L’automne du sang arabe: les secrets de Daech et consœurs” ou dans mon nouveau livre « De Daech au printemps arabe » ont porté sur une série de réflexions sur l’organisation terroriste et ses velléités de fonder un Etat en s’emparant par la force et en toute impunité d’une partie de l’Irak et de la Syrie. D’ailleurs Bernard Bajolet, l’ancien directeur général de la sécurité extérieure, la DGSE, a déclaré le 27 octobre 2015 à Washington : “Il faut oublier les anciennes cartes de la Syrie et de l’Irak car les nouvelles cartes sont en train de se former”.
L’arsenal américain aurait pu annihiler Daech en peu de temps. Mais on l’a laissé faire parce qu’il avait un rôle à jouer. Rappelons-nous la presse occidentale comme elle a identifié les terroristes au début comme des « combattants pour la liberté » en 2012, puis en 2015 ils sont devenus des jihadistes et en 2016-2017 des terroristes.
Mais aujourd’hui, avec l’intervention massive des Russes et des Chinois, ainsi que la résistance syrienne, la donne est renversée et Daech a tout simplement échoué. Il ne sert plus à rien, donc il sera forcément anéanti, malgré les séquelles néfastes qui resteront après lui, à savoir les loups solitaires.
Que faut-il en conclure?
On est face à une nouveauté, à un nouveau monde qui est en train de se créer grâce au réveil des Russes et au dragon chinois. Si au Conseil de sécurité sur la question syrienne Russes et Chinois ont opposé leur droit de veto, c’est bien pour signifier aux Américains et à l’Europe que le monde a changé et qu’il n’est plus admissible de soumettre le monde à la politique des deux poids, deux mesures. Nous-mêmes, nous devons adopter une nouvelle attitude, défendre nos intérêts sans sentiment. Les rapports de force ont changé et nous devons en prendre acte et agir en conséquence.