A quelques jours du 1er tour de l’élection présidentielle, nul ne sait qui sera le prochain président de la République française. En revanche, ce qui est sûr, c’est la place centrale qu’a occupée la question identitaire durant la campagne.
Loin de se préoccuper des difficultés conceptuelles et méthodologiques posées par la notion même d’identité, les principaux candidats se sont largement saisis d’une chose pourtant insaisissable. Dès lors, l’exercice imposé n’accouche pas forcément d’une offre et d’un discours politiques clairs et cohérents de la part de chacun. Reste que les positions exprimées contribuent incontestablement à brouiller les traditionnels clivages censés distinguer l’extrême-droite, la droite et la gauche.
La question identitaire participe à la recomposition idéologique du paysage politique français, avec une tendance lourde au repli national. Preuve qu’à défaut de victoire présidentielle, l’extrême-droite représentée par Marine Le Pen peut s’enorgueillir d’une victoire culturelle illustrée par la diffusion de ses représentations et de ses mots dans certains courants de droite comme de gauche.
La thématique identitaire a surgi dès les primaires. A droite, l’«identité heureuse» d’«Ali Juppé» n’a pas résisté à la «déclaration de foi chrétienne» d’un François Fillon héritier d’une France fille aînée de l’Eglise et porte-voix d’un catholicisme identitaire attaché aux valeurs traditionnelles de la famille. A gauche, le laïcisme de Manuel Valls (qui promeut une application extensive du principe de neutralité religieuse) n’a pas été plébiscité. Toutefois, sa conception qui ne correspond pas à la lettre et l’esprit libéral de la Loi de 1905 trouve un écho de plus en plus fort parmi les sympathisants de gauche.
Ainsi, lorsque l’ancien Premier ministre déclare en pleine «affaire du burkini» que Marianne «n’est pas voilée parce qu’elle est libre!», Jean-Luc Mélenchon estime également que le voile est «un signe de soumission». Ce laïcisme de conviction tranche avec l’instrumentalisation de la laïcité par Marine Le Pen. Au sein du parti d’extrême-droite, la République et (donc) la laïcité sont devenues des vecteurs de «normalisation-républicanisation», de légitimation du traditionnel discours xénophobe plus que jamais crispé sur l’extérieur (menace de l’immigration) et l’intérieur (menace des immigrés), deux sphères dont la jonction est réalisée via la thématique de l’islam.
Certes, la question de l’identité ne se confond pas forcément avec une velléité xénophobe; elle peut répondre à un louable désir d’introspection collective et à une volonté de définir les conditions du «plébiscite de tous les jours» (Renan) qui permet de «faire nation». Or, de fait, le discours identitaire s’inscrit aujourd’hui dans une logique de division et d’exclusion. La volonté légitime de définir un « Nous » bascule dans une entreprise idéologique d’exclusion d’un « Eux » imaginaire : la centralité de la question identitaire en France est inhérente à la question obsessionnelle de l’islam en France. La figure du musulman est érigée en source d’insécurité identitaire. Or le FN ne jouit d’aucun monopole en la matière…
Enfin, l’exercice d’introspection invite naturellement à se tourner vers le passé plutôt que vers l’avenir : parler d’identité consiste moins à construire un destin commun qu’à céder à un récit national romancé et nostalgique pour mieux refouler certaines pages de l’histoire de France… Une dérive qu’illustrent la polémique et la condamnation unanime de la qualification de la colonisation en Algérie de «crime contre l’humanité» par E. Macron, mais aussi la manière dont ce dernier ne craint pas la contradiction en soulignant par ailleurs les «éléments de civilisation» de cette même colonisation.
Des propos de nature à conforter la position d’un François Fillon, représentant fidèle d’une ligne «coloniale décomplexée» : «Non, la France n’est pas coupable d’avoir voulu faire partager sa culture aux peuples d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Nord» (discours à Sablé-sur-Sarthe, 28 août 2016). Cette propension à jouer avec le sens et les symboles de l’histoire nationale amène le candidat de «la droite et du centre» à se comparer à la figure de Vercingétorix et à en appeler aux fameuses «racines chrétiennes de la France»…
Au «pays des droits de l’Homme» et de l’universalisme, la diversité, l’internationalisme et le cosmopolitisme ne vont plus de soi. Le ton et la posture nationale-républicaine de Jean-Luc Mélenchon durant cette campagne sont particulièrement significatifs : le chant de la Marseillaise a remplacé celui de l’Internationale lors de réunions publiques envahies par des vagues de drapeaux tricolores qui ont «dégagé» les drapeaux rouges de 2012…