« La crise économique en Tunisie et la restructuration des banques publiques », tel est le thème de la conférence organisée aujourd’hui par la CONECT Ariana, en présence de Tarek Chérif, président de la CONECT, Adnen Bouassida, président de la CONECT Ariana, Mahmoud Ben Romdhane, universitaire et économiste, Habib Karaouli, président de la Banque des affaires de Tunisie, Ahmed El Karm, président de l’Association professionnelle des banques et des établissements financiers ainsi que des experts éminents.
Dans ce cadre, M. Ben Romdhane a déclaré que la Tunisie a connu deux grandes crises économiques, à savoir la crise des finances publiques de 2011 qui se poursuit à ce jour et la crise des paiements extérieurs de 1986.
Ayant recours à un diagnostic comparatif, le responsable a rappelé que suite à la crise de 1986, la politique budgétaire a été restrictive, marquée par le gel des salaires et des recrutements, la réduction du budget de l’équipement de -22,2% et le maintien de ce même niveau durant 4 ans. Ce qui résulte des gains en efficience considérables et une relance de la croissance une année après.
Par contre, suite à la crise actuelle, la politique budgétaire est expansionniste, marquée par l’augmentation du budget, des recrutements et des salaires de la fonction publique ainsi que la libéralisation courante totale. Ce qui résulte une détérioration totale des tous les indicateurs économiques, accompagnée d’une instabilité politique, sociale et sécuritaire.
D’ailleurs, les secteurs clés de l’économie, à savoir phosphates et dérivés, hydrocarbures, tourisme et transport international, ont été sinistrés générant des pertes de l’ordre de 23,6 milliards de dinars, soit la moitié des pertes cumulées du PIB (57 milliards de dinars).
S’ajoute à cela la situation insoutenable des entreprises publiques et des caisses de sécurité sociales ainsi que la détérioration de la qualité des services publics.
Cette situation exige, selon M. Ben Romdhane, une nouvelle donne et un nouveau contrat à l’image de ce qui a été fait aux Etats-Unis durant les années 30. Il s’agit d’un compromis historique qui devrait être basé sur la souveraineté de l’Etat tout en établissant la soutenabilité des finances publiques à moyen et long termes, de la balance des paiements, création des richesses, amélioration de la productivité et la production, relance des secteurs clés de l’économie…
Privatisation des banques publiques: est-ce une solution?
Au volet de la privatisation des banques publiques, M. El Karm a annoncé, dans une déclaration aux médias, que cette privatisation demeure actuellement une obligation.
Certes l’Etat a une responsabilité financière mais n’a pas besoin d’être propriétaire de banques. Vu qu’il a d’autres mécanismes de financement, à savoir la Caisse des dépôts et consignations, la BFPME et la BTS, il n’a pas la capacité de gérer les banques publiques, ce qui exige leur privatisation afin d’améliorer leur efficacité et leur contribution au financement de l’économie tunisienne.
De son côté, M. Karaouli a estimé que le système bancaire dans sa globalité est incapable de financer l’investissement et de contribuer au financement des entreprises, notamment les PME, et l’économie en général. Il est totalement fragilisé et très peu performant.
Ainsi, les banques jouent de moins en moins leur rôle avec une gestion des risques tout à fait aléatoire et un système d’information obsolète. «On est dans une situation paradoxale où le client de la banque est beaucoup plus évolué sur le plan numérique et digitale que le banquier lui-même d’où la nécessité d’une mise à niveau ».
Revenant sur la question de la privatisation, Habib Karaouli a précisé que l’Etat doit se défaire rapidement de toutes ses participations minoritaires et opter pour le principe de la solidarité de place qui doit toucher toutes les banques, sachant que l’Etat est actuellement présent dans une quinzaine de banques sur un total de 22 banques qui existent en Tunisie.
En ce qui concerne les trois banques publiques, notre interlocuteur a affirmé que pour lui la seule banque publique est la STB où l’Etat possède directement ou indirectement 87% du capital. Il ne qualifie pas la BNA et la BH de banques publiques où l’Etat détient à peine 51 actions dans chacune d’entre elles. Des actions privées qui sont bien représentées sont en train d’impulser et de faire en sorte que ces deux banques soient meilleures que la STB au point qu’on n’a pas eu besoin de les recapitaliser.
De ce fait, M. Karaouli a précisé que pour la BNA et la BH, la problématique de la privatisation ne se pose même pas. Il suffit qu’un des actionnaires d’entreprises publiques sorte pour une raison ou une autre du capital de ces banques pour qu’elles deviennent privées au-delà de 50%.
Pour conclure, il a appelé à une révision complète du système bancaire, notamment des banques publiques, en commençant en premier lieu par le changement de la gouvernance.
Dévaluation record du dinar
Interpellé par leconomistemaghrebin.com sur la dépréciation du dinar tunisien face à l’euro (1 euro/ 2.5 dinars) M. El Karm a déclaré que la dévaluation du dinar est stratégique parce qu’elle reflète la situation de l’économie. Si on avait une économie qui ne souffre pas des déficits budgétaires et commerciaux, le dinar connaîtrait une appréciation. Mais avec une économie détériorée, il est normal que le dinar se déprécie parce qu’on a une capacité de compétitivité à sauvegarder.
Pour améliorer la situation du dinar tunisien, il a appelé à améliorer la productivité, à relancer la croissance, à augmenter les exportations et à soutenir les réserves en devises.
Dans le même contexte, Ben Romdhane a souligné que cette dévaluation est une résultante du processus économique. « Le dinar est un bien qui est offert et demandé sur le marché. Et quand il y a plus d’offres que de demandes, le prix baisse automatiquement. Si nous n’avions plus ce déficit courant qui dépasse 8% du PIB depuis 6 ans, nous exportions plus que nous n’importions, si nous améliorions notre productivité et notre compétitivité, on n’aurait pas de dépréciation du dinar».