Le Forum de l’Economiste ne serait pas ce qu’il est sans cet échange permanent d’idées, d’analyse et de propositions qui s’inscrit dans la perspective de l’Euro-Afrique. Nous avons en effet choisi pour cette 19ème édition du Forum de l’Economiste Maghrébin le thème : L’innovation, clé de la croissance tunisienne.
Dans le nouveau monde qui se met en place, il y a comme une impérieuse nécessité de placer l’innovation au cœur de la vision stratégique, aussi bien de l’Etat que de l’entreprise. Nous ne tarderons pas à le savoir.
Innover, puisque c’est de cela qu’il s’agit. Oui mais pourquoi et comment ? La question, sinon ces questions, méritent d’être posées. Il y a même urgence, car notre modèle de développement révèle aujourd’hui ses limites et paraît très décalé par rapport aux nouvelles attentes et à la nouvelle demande sociale que rien ne semble arrêter.
Notre économie doit gagner en valeur ajoutée, s’adapter, résister et épouser son époque. Aujourd’hui, sans doute plus qu’à aucun autre moment et au regard du décrochage de l’industrie tunisienne, l’innovation est le principal facteur de survie pour l’ensemble des secteurs économiques. Elle est la clé de la croissance tunisienne.
Le problème est que- nos intervenants nous le confirmeront- l’innovation ne s’improvise pas; elle se construit et se pilote. Autant dire qu’il faut la placer dans la vision stratégique, d’une part, de l’Etat, dans sa gestion de l’économie et du social, et des entreprises, d’autre part.
Il faut à cet égard définir et diffuser à tous les étages du pouvoir et de la société une culture d’innovation qu’il faut soutenir en permanence. L’innovation n’est pas que d’essence technologique. La stabilité, la simplification des procédures, l’allègement fiscal, la primauté du dialogue social et la politique d’aide à l’investissement participent de cette vision. J’évoquais, à l’instant, le décrochage industriel et la dégradation profonde de l’économie tunisienne inscrite dans les statistiques nationales.
L’aggravation du déficit du commerce extérieur en est à l’évidence le meilleur indicateur. A qui la faute ? Au modèle de développement aujourd’hui tant décrié, aux entreprises qui n’ont pas su s’adapter à temps ou aux pouvoirs publics qui ont protégé plus qu’il n’en faut et interdit au-delà de ce qui était raisonnable.
Il y a accord sur le constat que la croissance aujourd’hui s’essouffle, elle est à bout de course et serait même en fin de cycle. Mais il faut prendre garde de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Il n’y a pas de secteurs qui soient irrémédiablement condamnés. Il y a par contre des technologies obsolètes qu’il faut changer, revitaliser, remettre au goût du jour. C’est tout l’enjeu de l’innovation. Il est donc nécessaire de mettre en place de nouvelles stratégies novatrices en matière de développement industriel- cela vaut également pour l’ensemble des secteurs- ainsi que des mesures adaptées pour stimuler les investissements et relancer les exportations. L’évidence s’impose : il faut muscler l’offre et donc redonner aux entreprises la capacité d’accroître leur production pour que tout accroissement de la demande ne condamne pas l’économie tunisienne à s’installer dans le déficit commercial et l’endettement extérieur.
Nos entreprises doivent mettre rapidement sur le marché des biens nouveaux ou anciens de nature à absorber une demande en perpétuelle adaptation. Ce qui veut dire qu’elles aient les moyens financiers de gérer le temps nécessaire à la définition de leur stratégie d’innovation. Pour pouvoir s’imposer, elles doivent s’inventer un avenir en créant un nouveau marché. A charge pour les pouvoirs publics de s’autoriser toutes les audaces. La croissance nécessite un environnement où les entreprises se sentent en sécurité quand elles investissent sans qu’il y ait modification permanente des impôts ou du droit social. Plutôt que de perpétuer les vieilles lois qui écrasent le pays, il faut le plus souvent en créer de nouvelles qui ne soient pas entachées par le sacro-saint principe de précaution. Celles-ci doivent au contraire porter la marque d’un principe d’innovation.
La rupture technologique nous force à remettre en question nos habitudes de pensée et d’agir, les mieux ancrées. La Tunisie devrait être une terre de prédilection, certains diront d’asile, pour les projets innovants. Cela est possible, nous dira sans doute tout à l’heure Badreddine Ouali et bien d’autres de ces jeunes startuppers qui n’en finissent pas de nous étonner. Elle devrait devenir un site de choix pour les entreprises qui ouvrent la voie pour résorber au plus vite notre déficit commercial devenu chronique et insoutenable. J’entends ces entreprises, jeunes et innovantes, qui peuvent partir à la conquête de l’Afrique, mais pas que de cela. A les voir réussir, on se dit que rien n’est perdu et qu’il est possible de nous positionner sur des produits de niche à forte valeur ajoutée. Au nom, dirions-nous, des engagements et de la solidarité euro-méditerranéenne. Si nous voulons nous insérer à notre avantage dans le jeu de la mondialisation, un seul mot d’ordre: vendre – oui pourquoi pas- l’excellence tunisienne.
Notre décrochage, car il faut bien l’appeler ainsi, est causé autant par notre déficit de compétitivité que par notre difficulté d’offre et de positionnement. La réponse est claire, il faut plus de haut de gamme, plus de capacité d’adaptation, c’est-à-dire plus d’innovation. Il suffit de voir ailleurs pour se convaincre qu’il n’y a pas de fatalité à la détérioration continue de notre commerce extérieur.
Si nous avons choisi l’innovation pour thème central pour la 19ème édition du Forum de l’Economiste Maghrébin, c’est parce que nous sommes convaincus que la Tunisie peut devenir la Silicon Valley de l’Afrique et du monde arabe. Elle a une population jeune et éduquée, une culture libérale et elle peut compter sur le concours d’un important secteur bancaire. Le pays est de surcroît capable de faire évoluer son système éducatif aussi vite que les technologies et anticiper les besoins futurs des entreprises. Car, plus l’avenir est incertain, plus il y a nécessité d’essayer d’anticiper les besoins à long terme. La Tunisie doit s’en donner les moyens. Et oser penser l’impensable en mettant l’innovation au cœur de notre développement économique et social.
Nous avons connu d’importants progrès au cours des 50 dernières années avant que la machine ne se grippe sous l’effet conjugué de chocs internes et externes sur lesquels nous n’allons pas nous attarder. Les dangers, les menaces, on les voit venir non sans inquiétude. Les défis, on en mesure la gravité et les difficultés qu’il y a à les relever. Mais nous savons aussi que le monde est riche en opportunités. Il faut tout simplement agir pour mettre toutes les chances de notre côté.