Un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès ! Cet adage que tout le monde connaît s’applique parfaitement au projet présidentiel de réconciliation économique qui vise un accord de circonstance qui permet aux parties de mettre un terme à leur conflit, de manière qualitative et pérenne.
Est-ce un hasard si plusieurs comités régionaux de l’Ordre des avocats se sont précipités pour déclarer leur opposition au projet de loi ?
Ainsi au lieu de plonger plusieurs milliers de fonctionnaires de l’administration publique dans un processus judiciaire long et fastidieux et dont l’issue est incertaine, un processus d’arbitrage et de réconciliation est une démarche nettement plus opportune pour atteindre les objectifs beaucoup plus efficacement.
Comparé à la loi relative à la justice transitionnelle, le projet présidentiel intervient exclusivement sur deux aspects : les délits financiers liés aux seuls fonctionnaires de l’Etat, à l’exception des cas de corruption et de détournement d’argent public ainsi que les délits de change pour les citoyens. Il propose un mécanisme plus efficace pour atteindre les mêmes objectifs : ainsi là où l’Instance Vérité et Dignité (IVD) ne donne aucune précision, ce projet prévoit des délais courts mais raisonnables pour la clôture des dossiers.
Aussi, là où la justice transitionnelle prévoit une décision au cas par cas par l’IVD sur les sommes à rembourser, ce qui laisse la porte ouverte à un abus potentiel, le projet de réconciliation économique définit clairement les sommes à rembourser, soit le montant du gain public spolié en plus de 5% par année.
Ce projet n’exclut aucunement l’IVD qui sera représentée par deux membres au sein de la Commission de réconciliation en plus des cinq représentants de l’exécutif dont le représentant du chargé général du contentieux de l’Etat. Cette répartition proposée par le projet initial pourra même être corrigée pour être plus équilibrée.
Bien sûr, ce projet n’est pas parfait : comme tout projet de loi, il fera l’objet de critiques et de corrections tout au long du processus législatif, et ce, en parfaite cohérence avec les principes démocratiques de notre Constitution. On peut lui reprocher le manque de transparence, car il ne prévoit pas la publication des noms des personnes et de l’objet des affaires traitées ; le poids plus important de l’exécutif dans les commissions de réconciliation ; la non-délimitation dans le temps des affaires à traiter voire des peines sévères à l’encontre des récidivistes et de ceux qui ont essayé de s’extirper du processus de réconciliation.
Dans l’éventualité que ce projet de loi passe, le vote en présentant des dispositions contradictoires par rapport à la Constitution, comme présument ses détracteurs au stade actuel où le projet est à l’ examen de la commission concernée à l’Assemblé, il y a lieu de faire appel aux instances constitutionnelles pour le revoir le cas échéant. Nous n’en sommes pas encore là et la cacophonie qui accompagne ce projet de la part de certaines parties intéressées a déjà atteint son paroxysme. Ces parties n’avancent pas des arguments et des critiques de fond, mais usent de diatribes acerbes et de tactiques populistes afin de déstabiliser un processus parfaitement démocratique.
Essayer de regagner du terrain politique perdu dans des élections incontestablement transparentes est un signe de bonne santé de la démocratie, mais que ça se passe dans le grabuge et dans un niveau insolite de populisme est dégradant pour la classe politique qui a la responsabilité de maintenir le discours politique à un niveau décent par respect aux électeurs.
En résumé, ce projet vient renforcer le processus de réconciliation auquel il ne prétend guère se substituer, en vue de renflouer les caisses destinées au développement régional avec de l’argent qui a été égaré par des mécanismes irréguliers mais qui n’ont pas un caractère significatif et permettre à quelques milliers de Tunisiens qui ont quelque chose à se reprocher de réintégrer la société en adhérant d’une manière volontaire à ce processus de réconciliation. Les autres auront à confronter la justice classique dans une démarche qui sera plus longue et plus coûteuse aux deux parties.
La participation de l’ensemble des parties et des instances ainsi que de la société civile pourra aboutir à un projet de loi meilleur qui tiendra compte des diligences et des pistes d’amélioration. L’énergie dépensée par les détracteurs dans la diabolisation de ce projet en appelant à un refus idéologique et en tentant un procès d‘intention, sera mieux déployée en apportant des idées concrètes plutôt que d’anticiper la prétendue incompatibilité avec la Constitution qui bénéfice de la protection des institutions démocratiques de l’Etat de droit.
En démocratie, on discute, on argumente, on critique et on vote et si nécessaire, on demande le réexamen d’une loi. On ne passe à la protestation populaire qu’une fois que la loi adoptée se heurte à un rejet massif de la population. Chez nous l’inverse est d’actualité, ce qui prouve que le processus démocratique est encore fragile et que les instances démocratiques doivent être soutenues par toutes les bonnes volontés.