L’Institut tunisien des études stratégiques (ITES) a réalisé, en collaboration avec le Programme alimentaire mondial (PAM), « la Revue stratégique de la sécurité alimentaire et nutritionnelle en Tunisie ». Il s’agit d’un projet de recherche conduit par le gouvernement et qui cible l’Objectif de Développement Durable (ODD) 2, à savoir l’élimination de la faim, l’assurance de la sécurité alimentaire, l’amélioration de la nutrition et la promotion de l’agriculture durable à l’horizon 2030.
Elaborée par les experts et économistes Slaheddine Makhlouf, Karim Ben Kahla et Asma Souissi et présentée aujourd’hui, cette revue a démontré que la sécurité alimentaire est basée sur quatre dimensions principales.
Il s’agit de la Disponibilité (production locale, importations, aide alimentaire), de l’Accès (production des ménages, existence et accès aux marchés locaux, réseaux publics de soutien), de l’Utilisation (offre alimentaire, pratiques de consommation) et de la Stabilité (dimensions stables et satisfaisantes tout au long de l’année).
Les résultats préliminaires ont dévoilé qu’au volet de la disponibilité alimentaire, l’amélioration de la production et de la productivité n’a pas empêché l’augmentation de l’importation des produits alimentaires. D’où les importations alimentaires ont représenté 9,2% des importations totales de la Tunisie en 2016. La part des céréales dans la valeur de ces importations dépasse les 43, 5%, suivie d’autres produits pour 21,4%, les huiles végétales pour 12,4% et les sucres et dérivés pour 12%.
Ainsi, la transition de la consommation alimentaire se caractérise par moins de céréales, passant de 204 kg en 1985 à 175 en 2015, et plus de produits d’origine animale, notamment le lait et les produits laitiers, passant d’environ 51 kg à 150 kg pour la même période.
L’étude a également dévoilé que les céréales apportent toujours près de 50% des besoins énergétiques. Et une forte augmentation a été enregistrée au niveau de la part des protéines animales dans la ration protéinique, soit 34% en 2015 contre moins de 23% en 2000.
De ce fait, la disponibilité alimentaire ne pose pas de problèmes pour les Tunisiens, d’où les apports moyens de nutriments dans la ration alimentaire des Tunisiens dépassent leurs besoins moyens à l’échelle nationale sauf pour la vitamine B2.
Cela n’empêche qu’il y a des risques liés aux changements climatiques et à la dégradation des ressources naturelles et en particulier l’eau qui freine la production agricole. S’ajoute à cela l’augmentation du ratio de dépendance aux importations des céréales pour atteindre environ 60%.
Au volet Accès, les résultats ont fait ressortir que l’alimentation représente 29% du budget des ménages Tunisiens. Les groupes les plus vulnérables sont les habitants des zones rurales dont l’accès physique et monétaire à l’alimentation sont problématiques pour eux. Plus particulièrement les habitants des zones du Centre-Ouest et du Nord-Ouest où les taux de pauvreté dépassent les 32%, ainsi que les femmes rurales étant chef de famille monoparentale représente une main-d’œuvre agricole occasionnelle et sous-rémunérée.
Au plan de la dimension Utilisation, l’étude a dévoilé que le principal produit gaspillé par les Tunisiens est le pain. Environ 16% du pain acheté fini dans les poubelles, suivi des produits à base de céréales pour 10%, les légumes pour 6,5%, les fruits pour 4%, le lait et ses dérivés pour 2,3% et les viandes pour 2%.
Quant aux maladies liées à la nutrition, environ 46% des Tunisiens sont en surpoids. D’où le pourcentage de la population âgée entre 20 et 69 ans souffrant de l’obésité a très légèrement diminué entre 2010 et 2015, soit de 10,4% à 10%. Ce sont les femmes qui sont les plus affectées par cette maladie avec 13% contre 6,6% pour les hommes.
En ce qui concerne la Stabilité, il a été constaté une diminution du score de stabilité politique et d’absence de violence/terrorisme, une croissance de la dépendance aux importations des céréales et de la valeur des importations alimentaires, une volatilité des prix dans les marchés intérieurs et aussi dans les marchés internationaux des produits de base ainsi qu’une dégradation de la variabilité de la production et des disponibilités des produits alimentaires.
A noter que la finalité de cette revue est d’accélérer les progrès vers l’élimination de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition conformément à ODD 2 ainsi que de mieux soutenir la Tunisie de manière significative pour atteindre ces objectifs.
Pour ce faire, il importe d’élaborer une analyse participative et exhaustive de la sécurité alimentaire et de la situation nutritionnelle dans le cadre des ODD 2, d’évaluer les progrès réalisés par les politiques, les programmes et les capacités institutionnelles ainsi que les flux de ressources visant à améliorer la sécurité alimentaire et nutritionnelle, identifier les éventuelles lacunes ou faiblesses de ces politiques et programmes et dégager et hiérarchiser, par la suite, les actions nécessaires pour combler les lacunes et accélérer les progrès vers une meilleure sécurité alimentaire et nutritionnelle.
A cet égard, Hatem Ben Salem, Directeur Général de l’ITES, nous a déclaré que la question de la sécurité alimentaire est une question d’ordre stratégique. «C’est-à-dire que nous estimons qu’un pays, quel qu’il soit, ne peut pas se considérer souverain s’il ne maîtrise pas les fondements de son système d’alimentation».
Vu qu’aujourd’hui il y a un véritable besoin de diagnostic et de vision. «Notre but est d’initier cette réflexion avec le PAM, afin que cette étude soit terminée et présentée au Conseil exécutif du PAM au mois de juin 2017»
M. Ben Salem a affirmé que cette étude est importante mais n’est pas suffisante. «Elle va nous permettre de faire une sorte d’enquête, identifier les points faibles de notre système d’alimentation, commencer avec les différentes parties une véritable réflexion sur une vision sur l’agriculture, la balance alimentaire». Notant que le plus grand point faible est, selon ses dires, la place de plus en plus marginalisée que représente l’agriculture aujourd’hui dans l’économie nationale, ce qui n’est pas acceptable.
En conclusion, le responsable a estimé qu’on doit faire en sorte que l’avenir de la Tunisie ne soit pas touché par des manques, des faiblesses et des dysfonctionnements qui pourraient avoir un impact négatif sur le développement du pays. Et ceci ne peut être vrai que si on réfléchit de façon objective sur la nécessité de restructuration du secteur de l’agriculture et des industries agroalimentaires.
Chiffres clés:
- 1960 : ressources hydriques disponibles par habitant et par an ont été de 136 m3
- 2006 : 420 m3, soit au-dessous de seuil hydrique
- 2030 : 360 m3
- 2010 /2016 : quantité de céréales importées en augmentation de 18% et la charge de compensation a été multipliée par 2.