L’Etat est de retour. Et son autorité retrouvée après que les institutions républicaines ont été sévèrement malmenées, agressées, contournées, ignorées, abîmées au nom des libertés retrouvées qui confinaient au chaos. L’érosion de l’Etat de droit, sous le déferlement de contestations tous azimuts, est telle qu’elle avait fini par mettre en danger la cohésion sociale et l’intégrité territoriale du pays.
Le Président de la République, Béji Caïd Essebsi, garant de l’unité nationale et chef des armées était monté en première ligne. Par devoir et obligation. Sa mise en garde sous forme d’un appel au calme, à la raison, et à la mesure pour restaurer l’autorité de l’Etat et la force de la loi a fait l’effet d’un couperet. Avis aux mutins de l’absurde, aux insoumis en tout genre, aux apprentis frondeurs, aux dissidents qui n’osent pas dire leur nom, aux vrais faux alliés, aux politiques sanctionnés par les urnes, pressés d’en découdre en provoquant les foyers de tension et d’incendie et en jetant sans vergogne de l’huile sur le feu. Ils se servent du bouclier régional, de la misère sociale, de la détresse et du désespoir des damnés de la terre pour désarmer l’Etat, le réduire à l’impuissance, l’obliger à multiplier les promesses qui relèvent plus de l’improbable que du possible. Et au final, contraindre l’Etat au repli qui le condamnerait à l’effacement.
Face à ce déluge de feux croisés, le Chef de l’Etat n’a pas fait mystère de sa volonté et de sa détermination de rétablir l’ordre républicain. Son appel – grave et solennel – fut comme un discours fondateur de l’Etat de droit.
L’Etat est de retour. Il n’aura pas fallu longtemps avant que le Chef du gouvernement en apporte confirmation, en déclenchant une guerre éclair contre ces féodalités qui évoluent et prospèrent à la lisière des formations politiques. Qui violent la morale et transgressent les lois républicaines. Haro sur les seigneurs ou barons de la contrebande en tout genre, du commerce informel et de la politique parallèle. Ils contrôlent de vastes étendues du territoire et de la sphère politique, interfèrent sur les décisions de l’Etat qu’ils cherchent par tous les moyens à infiltrer et à affaiblir, régnent sur certains médias qui n’en demandent pas moins, achètent l’allégeance de politiciens, députés en tête, qui prennent plaisir de ce juteux commerce, au mépris de la morale et des valeurs républicaines.
Ils ont poussé le cynisme jusqu’à s’acheter une virginité et une légitimité en contournant et en violant la loi. Ils s’adonnent à des activités licites et illégales et accumulent, sans même vouloir s’en cacher, des fortunes dont on ignore souvent l’origine. Ils affichent ostensiblement leur préférence partisane à géométrie variable leurs accointances et leurs alliances, sinon leur complicité avec des puissances étrangères aux étranges agendas géopolitiques, aux antipodes de nos choix de société. Ils contrôlent un vaste réseau transpartisan et transfrontalier qu’ils n’ont pas eu beaucoup de peine à construire, à cause de la cupidité, de l’opportunisme de serviteurs véreux de tout bord et de tout horizon. Certains paraissent si sûrs et dominateurs qu’ils s’imaginent au- dessus de la loi, qu’ils transgressent allègrement. Comme si cette hyperpuissance leur conférait une certaine impunité. L’opinion publique elle-même avait fini par les croire intouchables, ne voyant venir aucune réaction, aucune levée de boucliers de l’Etat, incapable d’asseoir son autorité là où elle est bafouée.
Spectacle affligeant, triste, peu digne d’un pays comme le nôtre qui brille, par le niveau d’éducation et la vivacité de sa jeunesse, le poids prépondérant de sa classe moyenne, la qualité de ses cadres, de ses entrepreneurs et de son élite intellectuelle. Ce vaudeville, ce théâtre d’ombre de bas étage fait mal.
Ces hors-la-loi, architectes en chef de la contrebande et de la corruption, qui se sont glissés dans les interstices d’une histoire en mouvement, doivent leur rapide ascension et leur puissance au jeu trouble de formations politiques qui ont émergé au lendemain de la révolution. Ils ont mis à mal nos institutions et notre économie, en s’appuyant sur un système mafieux à grande échelle, contaminant et intoxiquant tout sur son passage. Ils rivalisaient – ou presque – avec l’économie structurée, qu’ils ont soumis à un travail de sape en règle. Ils règnent, contrôlent et régulent à leur manière une économie de plus de 50% du PIB, sans rien verser à l’Etat, alors même qu’ils profitent de ses largesses. On comprend qu’à ce niveau d’importance, la jonction entre contrebande, commerce informel et terrorisme se fasse d’elle-même, de manière quasi objective. On ne s’étonne pas – on le revendique même – qu’il faille mener la guerre sans discernement contre cette pieuvre aux ramifications dangereuses.
L’évidence s’impose : la corruption est devenue quasiment la règle. Elle a gangrené tout le corps social et a lourdement impacté l’appareil productif. Elle s’est même plus démocratisée que le paysage politique.
L’arrogance de ces « oligarques » venus de nulle part, qui brassent large – business, argent et politique – n’a pas de limite. Au point de pousser la provocation jusqu’à oser rabaisser l’autorité centrale comme pour la supplanter.
On ne défie pas impunément un Etat vieux de plus de 2000 ans, quand on est loin d’être exemplaire. L’appareil de l’Etat a certes plié, mais il n’a pas cassé. Il vient de prouver qu’il n’a même pas courbé l’échine.
L’Etat est de retour. Il s’est reconstruit à l’issue des élections législatives et présidentielles, les premières dans l’histoire de ce pays, libres et transparentes. Il se devait de porter le fer contre ces «Etats» qui se sont constitués dans l’Etat. La Tunisie qui travaille, qui se lève tôt, qui se bat au quotidien, qui crée, produit, innove, qui prend de la hauteur, qui s’ouvre sur l’international autrement que pour importer et trafiquer, qui vit au rythme des découvertes technologiques, crie aujourd’hui son indignation, sa colère et sa révolte de voir le pays s’abaisser à ce point, toucher les profondeurs du ridicule et le degré zéro de la politique.
Dans la foulée de la mise en garde du Président de la République, le Chef du gouvernement Youssef Chahed a fait ce qu’il a à faire et ce qu’il se devait de faire. Il est dans son rôle en se portant au secours du pays, en neutralisant ceux dont il pense qu’ils conspirent contre l’économie et l’Etat. La riposte, pour être efficace, doit être foudroyante. Et elle l’a été. Pour le reste, la justice tranchera dans le respect du droit.
Ce faisant, le Chef du gouvernement a prouvé qu’il a une parfaite intelligence du paysage sociétal et des rapports de force politique. Il a à l’évidence une analyse lucide de ses chances.
Qui ose vaincra… Youssef Chahed a osé. Sa cote de popularité est montée en flèche. Il a rompu son isolement, ramené une certaine sérénité et s’est accordé un répit. Il n’a pas, pour autant, désarmé tous ses détracteurs, qui se parent des habits politiques pour enflammer le pays. La fortune sourit aux audacieux, manière d’affirmer que le Chef du Gouvernement doit persévérer, aller jusqu’au bout de son offensive de moralisation de la vie publique.
La guerre contre la corruption, comme celle contre le terrorisme, sera longue et difficile. C’est un combat à l’issue incertaine. C’est quand il aura réussi à l’éradiquer à la racine, à purger le pays des forces suspectes et occultes qui sapent le fondement de notre économie, qu’il aura raison. Il est condamné à réussir. Il n’a pas droit à l’échec, pour qu’on ne dise pas de lui qu’il a fait une erreur ou qu’il s’est trompé.
Pour l’heure on n’en est pas là. Car il affiche, en la matière, une ferme résolution, une forte détermination et une réelle volonté à toute épreuve. Et il a pour lui un large soutien populaire. Il n’en faut pas plus pour réussir.