Bien avant l’arrivée, le 22 septembre 2016 d’Elyès Gharbi, les services publics de l’audiovisuel-mais pas uniquement- vivent une gabegie dont il n’est, comme ceux qui l’ont précédé, point responsable.
Il fallait sans doute un bouc émissaire pour payer les pots cassés. Ce fut celui-là. La vieille pratique du service public tunisien- mais pas seulement- trouve une fois de plus l’occasion de se vérifier.
De quoi s’agit-il? Il s’agit d’évidence du limogeage, le vendredi 18 juin 2017, d’Elyès Gharbi, le PDG de la Télévision Tunisienne (TT), le service public de radiodiffusion en Tunisie.
Comment en effet rendre responsable du retard de la diffusion du journal principal de la Watanya 1 (1 ère chaîne de la télévision publique) le PDG de la TT, dû à une situation imprévisible qu’il ne contrôle pas de facto et qui a provoqué ce retard dans la diffusion du journal de 19 heures (il a été diffusé avec une heure et demie de retard).
Une quasi-incertitude et un flou artistique
Bien avant l’arrivée, le 22 septembre 2016, d’Elyès Gharbi, les services publics de l’audiovisuel- mais pas uniquement- vivaient une gabegie dont il n’est, comme ceux qui l’ont précédé, point responsable. Le problème est profondément structurel.
En fait, la TT vit depuis l’avènement de la révolution du 14 janvier 2011 à l’heure d’une réelle dégradation au niveau de la gestion. A une situation de véritable mainmise du pouvoir exécutif- aussi bien sous Bourguiba que Ben Ali- s’est substituée une situation de quasi-incertitude et de flou artistique.
Pour expliquer ce qui s’est passé le jeudi 16 juin 2017, et au-delà de l’incident, selon lequel le réalisateur du journal aurait eu une «attaque cardiaque», il faut comprendre que :
- Le PDG n’a quasiment aucun contrôle sur les news qui sont, et pour l’essentiel, l’affaire de la rédaction. Au mieux peut-il suggérer, rappeler et proposer. Mais la ligne éditoriale et le contenu ne sont pas son affaire.
- Le pouvoir réel, le PDG le partage activement avec le syndicat et des corps de métiers comme les techniciens, les réalisateurs, les cadreurs,… qui peuvent imposer à tout moment leur diktat.
- Et il faudrait ajouter à ce vécu, le laxisme qui s’est emparé de l’institution, à l’image de pans entiers du service public, où l’absentéisme et la non-implication de certains dans le travail qui leur est demandé sont devenus une règle.
Le journal a longtemps fonctionné sans réalisateur
Des points d’interrogation sont à mettre en évidence concernant le retard dans la diffusion du journal de 19 heures du jeudi 15 juin 2017. Se peut-il qu’une institution qui a plus de cinquante ans d’expérience et qui a montré à l’occasion de certains événements tout le savoir-faire de ses hommes (couverture de sommets continentaux, de coupes et de championnats régionaux et mondiaux,…) ne puisse pas prévoir un remplaçant en cas d’empêchement du réalisateur ?
Sans compter que le téléjournal a longtemps fonctionné sans réalisateur. L’équipe technique (cameramen, ingénieur vidéo, ingénieur du son, directeur photo,…), du reste rompue à l’exercice, ne pouvait-elle pas en assurer à elle seule la diffusion ?
Il s’agit là du reste ni d’une rencontre de football ni encore d’une variété qui nécessitent une nuée de caméras et un gros personnel à gérer. Mais d’un rendez-vous régulier sur lequel une équipe régulière à la main haute.
On a beau analyser l’incident sous tous les angles et sous toutes les coutures, on ne peut trouver une explication convaincante à cet incident. Le secrétaire général du syndicat de la TT, Mohamed Saïdi, abondait, le samedi 17 juin 2017, dans une déclaration à notre confrère «Le Maghreb», à peu près dans le même sens.
Ce qui revient à dire et sans faire montre d’un pédantisme que les problèmes de la TT- comme de tout le secteur public des médias- ne peuvent être appréhendés sous une autre approche que systémique : «un ensemble d’éléments en relations mutuelles».
Ainsi le limogeage du PDG ne résoudra pas le problème. A rappeler qu’Elyès Gharbi est le troisième premier responsable de la TT à être remercié depuis le 14 janvier 2011.