Hasard du calendrier ou nécessité ? La question nous interpelle au plus profond de nous-mêmes. Elle pose en vérité plus d’interrogations qu’elle n’apporte de réponses. Il est en effet des coïncidences très troublantes même si en apparence le microcosme politique semble s’en réjouir.
La Tunisie sauvée par le gong ? Secourue in extremis par le FMI et la cohorte des bailleurs de fonds qui n’attendent que le signal du gardien du temple de l’orthodoxie monétaire pour ouvrir ou fermer les vannes du crédit ? Il n’y a là rien de glorieux pour le pays qui a connu, par le passé, un bien meilleur sort économique et financier. C’est même l’aveu d’une faillite financière à moins que ce ne soit le signal tant attendu d’un sursaut et d’un mouvement de réformes structurelles incontournables, longtemps différées et jamais réalisées. Il y a en effet urgence pour briser ce cercle vicieux de déficits à la fois de gouvernance, d’action et de vision. Les déséquilibres budgétaire, commercial et financier n’ont pas d’autres origines.
A quoi auront servi ces six longues années de luttes politiques stériles et dangereuses, entre clans, factions, groupuscules, chapelles et formations politiques souvent à la solde de puissances étrangères aux intentions inavouées sinon à nous réduire et nous contraindre à la mendicité internationale ?
On vit à crédit en vivant au-dessus de nos moyens, à force de se laisser griser par l’ivresse de la consommation et des importations sans discernement aucun, au mépris de toute forme de rationalité économique sinon de morale. Non que le pays soit privé de moyens ou de ressources humaines et physiques. Bien au contraire, c’est même le fonds qui manque le moins. Mais il s’est sabordé de lui-même en tournant le dos à ses valeurs ancestrales qui lui ont permis de surmonter l’hostilité du climat et de tenir tête aux agresseurs quels qu’ils aient été. Où sont passés nos croyances, notre attachement au travail, à l’épargne, à l’abstinence et au sacrifice ?
L’ascenseur social, tant vanté en son temps, n’a pu fonctionner que parce que des Tunisiens souvent aux revenus modestes – pour ne pas dire ceux d’en bas – se sont taillé les quatre veines, se sont imposés un régime spartiate et ont tout sacrifié pour financer les études de leur progéniture et investir dans l’avenir.
Les périodes de prospérité, de paix, de stabilité, de progrès qu’a connues à travers les âges le pays ont été à chaque fois celles où il affichait et faisait la démonstration de son attachement, de sa pleine et totale adhésion à ses valeurs fondatrices que sont le travail, l’épargne, la solidarité, l’investissement, la discipline et le leadership.
Il suffit qu’on s’en éloigne, si peu que ce soit, pour voir surgir le spectre du désordre, de l’instabilité, du déclin économique et de la banqueroute financière.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes et nous offrent si peu de raisons de nous en réjouir et encore moins d’espérer.
Sans l’avalanche de crédits extérieurs – dont on voit mal comment on pourrait les rembourser sans hypothéquer encore plus l’avenir – nos finances publiques, nos réserves de change, notre niveau de consommation, nos caisses sociales seraient dans un état désastreux. Il y va aussi de la crédibilité de l’Etat qui vit dans la hantise permanente du défaut de paiement… jusque des salaires de la fonction publique ?
Le pays vit sous perfusion. L’Etat a des fins de mois encore plus difficiles que celles des ménages pourtant saignés à blanc. Et pourtant, on persiste à nous accrocher à notre éphémère, coûteuse et chimérique zone de confort. On continue allégrement à consommer, à importer à tout-va, à nous endetter, à obstruer les principales voies de l’avenir, c’est-à-dire en sciant la branche sur laquelle le pays est inconfortablement assis. L’essentiel de nos ressources sert à financer les dépenses courantes, autant dire la consommation au mépris des investissements d’avenir. Etrange et paradoxale situation, celle-là même qui est la nôtre ! Où les gesticulations, les vociférations, les contestations, l’insubordination décident du sort de la politique, donnant par moments et par endroits le sentiment d’un pays hors du temps, sans réelle attache avec le sens des réalités.
Difficile de ne pas éprouver un petit pincement au coeur, même si au demeurant on se réjouit de la décision du FMI de débloquer, après bien des hésitations et des reports, la 2ème tranche de 314 millions de dollars en plein mois de Ramadan d’un crédit initial de 2,9 milliards de dollars.
Cette manne qui n’a rien de céleste tombe à point nommé : au pic de la consommation et des importations de denrées alimentaires, souvent aussi superflues qu’inutiles. Court répit pour l’Etat et une épine en moins – pour l’instant en tout cas – pour rassurer sa pléthorique armée de fonctionnaires. On ne réalise pas assez le côté surréaliste de cette situation.
C’est quand même l’argent du FMI qui sert à maintenir à flot les salaires des fonctionnaires, la consommation des ménages et les importations, trois des points de discorde qui sont dans son propre viseur.
L’institution de Bretton Woods ne demande rien de moins – quand elle ne l’exige pas – pour débloquer ses crédits que de les ajuster et de les revoir à la baisse, ce qui revient à contraindre le pays à un régime minceur pour assainir ses finances et venir à bout sinon réduire ses déficits.
Y parviendra-t-il ? Y parviendrons-nous ? On voudrait bien le croire, mais nous n’en sommes pas si sûrs. Et pour cause ! La boulimie de consommation et de farniente ne prendra pas fin au lendemain de l’Aïd. La séance unique – juillet, août- du reste unique dans son genre, frappe déjà à nos portes. Elle ne changera rien à nos habitudes ramadanesques qui font qu’on dépense à bourse déliée sans se dépenser. Deux mois avec des journées tronquées de travail au rabais, en miettes et une courbe de productivité qui continue de plonger dangereusement sans que l’on y prenne garde. La compétitivité des entreprises, plus exposées que jamais à la concurrence internationale, part en vrille et ne semble pas en tout cas préoccuper outre mesure beaucoup de monde. Et ce ne sont pas les dévaluations compétitives aux effets appauvrissants, plus nocifs qu’efficaces, qui vont rétablir nos grands équilibres et faire tourner à plein régime une machine économique privée de ses principaux leviers de croissance.
Comment remettre le pays dans le sens de la marche et du mouvement ? Comment tempérer ses penchants dépensiers, ressusciter chez les Tunisiens – ceux au moins qui en ont encore les moyens – le sens de l’épargne, de la sobriété et de l’abstinence ? Comment enfin les réconcilier avec le travail quand le chômage – voulu et volontaire – paie plus que l’emploi. Les 500 dinars accordés par personne et par mois au titre d’allocation de chômage pour les frondeurs et les sit- inneurs de Tataouine valent près de 2 fois le SMIG !! Les théories économiques les plus en vue et les plus progressistes sont bien en peine et avouent leur impuissance devant tant d’ingéniosité de gouvernance politique. Il n’y a que l’UGTT – passage désormais incontournable – pour donner son onction à ce dénouement qui ouvre vraisemblablement la voie, à brève échéance, à un quasi-doublement du SMIG. Cohérence sociale oblige. Si cela devait se produire, on compterait par milliers le nombre d’entreprises PME-PMI qui disparaîtront et par millions les bataillons de chômeurs. Avis de tempête…
Seul baume au coeur ; heureusement que dans cette météo politique instable et incertaine, dans ce climat torride qui fait craindre de gros orages, on voit ressurgir, comme chaque année à pareille époque, ces prodiges de la connaissance et du savoir, ces esprits si jeunes et si neufs qui font reculer les limites de l’intelligence.
Les lauréates, filles pour l’essentiel, du Baccalauréat 2017 sont au-delà de la fierté de ce pays, le gage de sa pérennité. Réjouissons-nous – une fois n’est pas coutume- que le ventre qui a enfanté ces graines de génies est encore fécond. L’essentiel est donc préservé : l’avenir du pays. C’est notre principale raison d’espérer.
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