L’Union générale tunisienne du travail (UGTT) nous a habitués, depuis le soulèvement de 2011, à être omniprésente dans tous les événements qui meublent l’actualité politique et sociale du pays. Hier, elle a franchi un nouveau palier : celui de la culture.
Dans un communiqué publié hier, mardi 4 juillet 2017, sur sa page officielle Facebook, et signé par le secrétaire général, Noureddine Taboubi, la centrale syndicale tunisienne, après avoir rappelé « la place qu’occupe la question palestinienne dans les cœurs des Tunisiens et Tunisiennes » et l’opposition qu’ils ont toujours manifestée contre toutes les tentatives « de normalisation avec l’Etat sioniste », appelle à l’annulation du spectacle de l’humoriste Michel Boujenah, programmé pour cet été au Festival international de Carthage ainsi que dans tous les autres festivals auxquels il a été invité.
Le communiqué n’a pas manqué de préciser que cet appel n’est pas lié à la confession juive de l’humoriste, mais plutôt pour ses prises de position favorables à l’Etat hébreux. Il a dans ce cadre rappelé qu’il « a conduit des marches de soutien à l’assassin Sharon ».
Indépendamment des convictions profondes des dirigeants de l’UGTT vis-à-vis de la question palestinienne et du conflit arabo-israélien qui sont, par ailleurs, partagées par tous les Tunisiens, il semble opportun de rappeler certains faits à propos de Michel Boujenah.
Le comédien est tout d’abord un citoyen français qui n’a jamais caché ses origines tunisiennes. Plus, c’est l’un des rares Juifs tunisien vivant en France et ailleurs en Europe qui ne rate jamais l’occasion pour rappeler ses origines et faire part d’un attachement profond à son pays natal, la Tunisie, où il est né un certain novembre 1952.
En temps normaux mais surtout en temps de crise, à l’instar notamment de la dernière crise qui a frappé de plein fouet le secteur du tourisme tunisien, Michel Boujenah a été un actif ambassadeur de la Tunisie dans les milieux de la culture et des médias français pour promouvoir son pays natal et qu’il a quitté alors qu’il avait à peine 11 ans. Il l’a quitté non pas pour aller rejoindre l’Etat d’Israël, nouvellement créé à l’époque, mais plutôt pour aller vivre en France et échapper aux persécutions que beaucoup de Juifs tunisiens commençaient à ressentir de la part de leurs pairs, les Tunisiens musulmans.
On se rappelle bien l’une de ses fréquentes apparitions télévisées, celle qui l’a réuni sur le même plateau avec l’humoriste d’origines marocaines, Gad El Maleh. Chacun des deux comédiens vantait, lors de l’émission, ses origines nord-africaines. Michel Boujenah n’a pas trouvé mieux que de répliquer à son interlocuteur dans les termes suivants : « Dieu a fait de son mieux pour montrer le mieux de ce qu’il pouvait faire ; il a créé la Tunisie ». Qui dit mieux, une réplique qui a provoqué un séisme d’applaudissements et c’était au mois d’avril 2016.
Dans une autre émission, le sujet du débat portait sur les qualités et les défauts des différents humoristes français. Boujenah a saisi l’occasion où l’on parlait d’huile pour lancer, hors du contexte : « La meilleure huile est l’huile d’olive tunisienne », il y a de cela un peu plus d’un mois. Tel est Michel Boujenah, un homme qui a toujours exprimé un dévouement indéfectible à son pays natal, la Tunisie.
Mais aussi, et indépendamment de ce portrait de l’artiste humoriste, il est nécessaire de mettre parfois quelques points sur les « i ». Il est important de rappeler aux dirigeants de l’UGTT qu’il s’agit là d’art et de culture, deux activités humaines qui se distinguent par leur universalité et que les conflits idéologico-politiques de toute l’histoire de l’humanité n’ont pas réussi à dresser des barrières et des frontières les empêchant de planer au-dessus des divergences et contradictions sociales, économiques et politiques.
Deux années auparavant, un jeune chanteur israélien d’origines tunisiennes a produit une chanson sur la Tunisie dont il a composé les paroles et les images à partir des histoires que ses parents et grands-parents lui ont racontées sur la Tunisie. Faudrait-il lui demander de se taire sous prétexte qu’il est un Juif israélien ?
Aux dirigeants de l’UGTT de comprendre que l’idéologisation de tout, de l’art et de la culture en l’occurrence, ne peut que porter préjudice aussi bien à l’idéologie elle-même qu’à l’art et à la culture. Et aux responsables sur le sort de l’art et de la culture dans notre pays de comprendre qu’une telle prise de position ne doit pas être un prétexte pour empêcher les fans de Michel Boujenah de se régaler, l’espace d’une soirée, par son art et son humour si uniques.
En réponse au communiqué de l’UGTT, le ministère des Affaires culturelles a rendu public un communiqué dans lequel il annonce que des consultations seront menées avec les composantes de la société civile à propos du spectacle de l’humoriste Michel Boujnah, programmé au prochain Festival de Carthage. Après quoi, décision sera prise concernant son annulation ou son maintien.