Après la récente réunion au Caire et la décision de Doha de rejeter l’ultimatum (au sujet des requêtes avancées par ses voisins), l’Arabie saoudite et ses alliés se trouvent engagés dans un bras de fer loin d’être gagné avec le Qatar.
Le Golfe est plongé dans une grave crise, l’Arabie saoudite, les Emirats Arabes Unis et Bahreïn, mais aussi l’Egypte et le Yémen, ont en effet rompu leurs relations diplomatiques avec le Qatar, qu’ils accusent officiellement de « soutenir le terrorisme », argument remarquable venu du royaume wahhabite, qui ne saurait masquer la cause réelle de la décision : le rapprochement du Qatar vers l’autre puissance régionale : l’Iran.
La rupture diplomatique s’est prolongée par une décision collective d’imposer un « blocus » à l’encontre de l’émirat gazier. En sus de la fermeture des frontières terrestres et maritimes, le Qatar est soumis à de sévères restrictions aériennes. Pratique désuète, le « blocus » pose des questions de légalité internationale.
Il faut savoir, en effet, que le blocus est un instrument qui correspond traditionnellement aux pratiques en temps de guerre. Or officiellement les pays concernés ne sont pas entrés dans un conflit armé. Dès lors, le « blocus en temps de paix » suppose l’autorisation du Conseil de sécurité de l’ONU d’appliquer ce type de sanction à l’égard d’un Etat qui menacerait la paix et la sécurité internationales… Or cette résolution onusienne n’est pas à l’ordre du jour.
A défaut de pouvoir sanctionner le Qatar via l’ONU, l’Arabie saoudite et ses alliés sont tentés de mobiliser l’instrument de coopération régionale – le Conseil de coopération du Golfe (CCG) – né de la volonté de contrer « l’hégémonie iranienne ». L’hypothèse d’une exclusion du Qatar du CCG demeure néanmoins peu probable. Une telle sanction politique suppose l’unanimité des Etats membres de l’organisation.
Or l’unanimité ne règne pas autour de l’actuelle stratégie saoudienne : le Sultanat d’Oman, voire le Koweït, ne sont pas sur la même longueur d’onde que Riyad. Ils cherchent la voie d’un compromis et de la concertation. Malgré cette volonté de conciliation, c’est l’avenir même du CCG qui se joue peut-être aujourd’hui.
Le CCG, créé par la Charte d’Abou Dhabi du 25 mai 1981, est une organisation régionale de coopération interétatique, dont la raison d’être réside dans l’obsession sécuritaire qui réunit des monarchies riches, mais vulnérables. Créé en réaction à la Révolution chiite iranienne et forte de la proximité géographique, socioculturelle et politique de ces Etats, le CCG entend garantir la sécurité commune et la stabilité politique de ces pays par la coordination des moyens militaires et des politiques pétrolières.
Le sentiment de menace chiite, intérieure et extérieure, a mobilisé les monarchies sunnites autour d’une solidarité d’intérêts. Tel est le sens de l’intervention militaire de la force de sécurité commune envoyée à Bahreïn, (le 14 mars 2011 le monarque sunnite y était contesté par les manifestants issus de la majorité chiite) et conduite sous commandement saoudien. Cette intervention, inédite dans la région, était révélatrice de nouveaux positionnements au sein du CCG et de la volonté saoudienne de réaffirmer son leadership régional – au sein même du CCG – face à son concurrent régional : l’Iran.
Outre ses motivations politiques et sécuritaires, le CCG offre un cadre institutionnel propice à la définition, sinon d’un processus d’intégration, du moins de coopération économique. Dans cette perspective, des avancées sont notables en matière de libre circulation des personnes, d’investissement, du droit d’accès à la propriété immobilière, d’harmonisation des normes et de brevets.
Une Union douanière existe depuis le 1er janvier 2003, ainsi qu’un marché commun depuis 2008, mais l’adoption d’une monnaie commune, prévue pour 2010, a été repoussée…
Aujourd’hui, le spectre de la désintégration pointe. L’obsession de l’apparent « arc-chiite » centré sur l’Iran continue d’être perçu comme une menace qui permettait jusqu’à récemment – avec le rapprochement du Qatar de l’Iran – d’afficher une unité politique derrière le leadership saoudien.
Or le royaume wahhabite ne semble nulle fausse note de la part de ses voisins traités en vassaux – voire la situation de quasi-protectorat de Bahreïn – avec la partition qu’il dicte depuis Riyad…