Nul doute que la question relative au rapport entretenu aussi bien dans les textes que dans la réalité entre l’emploi et le handicap a toujours conservé son attrait et qu’elle a, à chaque fois qu’elle a été soulevée, suscité le même intérêt de la part des parties concernées. Ce rapport, il faut bien l’avouer, a fini avec le temps par devenir objet de vagues réajustements au niveau des textes législatifs le sous-tendant qu’à celui de ses applications dans la réalité. A chaque fois un état des lieux a été fait avec une avancée manifeste en matière de projets et de correctifs à apporter. La toute dernière occasion dans ce cadre a été celle qui a réuni tous les concernés par le binôme handicap-emploi, gouvernement en tête, au Palais des congrès qui a abrité, hier, mardi 18 juillet un séminaire sur l’emploi et le handicap sous l’angle de la promotion du partenariat tripartite entre les services publics, privés et la société civile. Ce conclave organisé par le ministère de la Formation professionnelle et de l’Emploi, et placé sous le patronage du Chef du Gouvernement, a apporté bien des éclaircies dans le genre, pour ne pas dire des nouveautés dont une, au moins, est exclusive.
Projet-pilote visant 500 demandeurs d’emploi en situation de handicap
S’inscrivant dans le cadre du projet pilote « Emploi et handicap », cofinancé par l’Union Européenne, l’Agence Française de Développement et la Fondation Drosos (Suisse) et mis en œuvre par Handicap International, l’Agence nationale de l’Emploi et du Travail indépendant et la Fédération tunisienne des Associations œuvrant dans le domaine du Handicap, ce séminaire a permis de faire le point des programmes engagés dans quatre gouvernorats, en l’occurrence Gafsa, Gabès, Bizerte et Ben Arous.
Une rencontre dédiée totalement au thème, voilà de quoi souligner le caractère particulier de l’événement. Des activités ont été présentées et animées par Bouraouia Agrebi, elle-même handicapée non voyante et Hamza Balloumi. Le tandem a procédé avec maestria assurant l’enchaînement fluide des interventions programmées. En ouverture, Imed Hammami, ministre de la Formation professionnelle et de l’Emploi, a souligné les points forts du projet pilote qui est, a-t-il dit, « réalisé dans un cadre exclusivement participatif afin de réussir l’intégration de 500 personnes handicapées des gouvernorats concernés. ».
Place ensuite à la présentation des axes du projet par Sami Ben Jemaa et Imed Abdeljaoued qui ont abordé à l’occasion tous les aspects inhérents à la logistique et les procédures requises.
Pour Abdelmonom Amira de l’UGTT, la question revêt une grande importance et a des retombées bénéfiques pour tous, que ce soit dans le travail salarial ou indépendant. L’emploi des personnes handicapées est primordial, a-t-il souligné, en ajoutant qu’« il est impératif de procéder à un recensement rigoureux de la population des personnes handicapées « .
Prenant la parole, Wided Bouchamaoui, présidente de la centrale patronale, a réitéré l’impératif de faire avancer les choses dans le bon sens en précisant à ce propos qu’ « on est passé de la culture du don et de l’octroi à celle de l’acquis et du droit ». Elle a annoncé dans ce cadre la décision prise de réserver un espace, au sein de l’UTICA, à l’exposition des produits des personnes handicapées.
Structure nationale au sein de la Présidence du Gouvernement
Le Chef du gouvernement a considéré dans son intervention que l’emploi a toujours été au centre des priorités de l’Etat. Le gouvernement d’union nationale n’a pas cessé d’œuvrer dans ce sens, a-t-il insisté. Et il va de soi, a-t-il poursuivi, que les droits des personnes handicapées soient élevés en objectifs d’action encadrés et déterminés dans une approche législative conséquente. La manifestation la plus claire réside dans ce que la loi a stipulé en termes de quota fixé à 2% d’employabilité dans la Fonction publique. Quant au secteur privé, tous les encouragements ont été prévus principalement de nature fiscale.
Il n’en demeure pas moins que tout cela demeure perfectible. A ce titre, il a fait part de 7 propositions dont l’impératif du développement de l’arsenal juridique en vigueur, la nécessité de recenser le nombre exact des handicapés, l’intégration professionnelle et le développement du secteur de la formation en la matière ainsi que l’élargissement de l’intervention des caisses de l’emploi. A ce propos, Youssef Chahed a annoncé la création au sein de la Présidence du Gouvernement d’une structure nationale chargée du suivi des décisions et des procédures appliquées aux personnes handicapées.
Une cérémonie d’hommage a clôturé les assises du séminaire. De nombreuses distinctions ont été décernées aux gouvernorats de :
– Gafsa en la personne d’Ibrahim N. (forge), Afef Toumi( Etablissement ELI ) , Société Alatex, de Hédia Zaabouti
– Gabès en la personne de Racha Hami (prothèse dentaire), de Nadia Maaoui (rééducation- contrat El Karama).
– Tunis, Fouchana précisément, en la personne de Raja Ben Ali
Emploi-Handicap : l’état des lieux en préalable
D’abord, un aperçu sur l’infrastructure juridique réglementant le rapport entre l’emploi et le handicap. La Constitution a posé en tant que principe l’obligation incombant à l’Etat de protéger la personne handicapée contre toutes les formes de discrimination, particulièrement dans la vie professionnelle. Des textes législatifs ont encadré cette question telles la convention n° 159 sur la réadaptation professionnelle et l’emploi des handicapés, adoptée en 1983 et ratifiée par la Tunisie le 5 septembre 1983, la loi d’orientation n° 2005-83 du 15 août 2005, relative à la promotion et à la protection des personnes handicapées, modifiée par la loi 2016-41 du 16 mai 2016 ( particulièrement les articles 26 à 36) et l’ensemble des décrets et arrêtés sur l’emploi des personnes à besoins spécifiques. Il en ressort qu’un taux d’au moins 2 % leur est désormais réservé annuellement dans les recrutements de la Fonction publique. L’ANETI (l’Agence nationale pour l’emploi et le travail indépendant) est le partenaire privilégié qui encadre cette approche et met en marche les stratégies décidées en la matière. Des avantages sont prévus par la loi pour encourager le recrutement telles des exonérations fiscales (totalité des charges sociales patronales, la taxe sur la formation professionnelle et la contribution au titre du Foprolos…) .
Focus sur un pan de la réalité
Il faut dire que dans les faits, la mise en pratique de toutes ces dispositions a été manifestement ralentie du fait de nombreux facteurs. Les textes ne sont pas assortis de mesures d’application adéquates. Une étude comparative effectuée en novembre 2014 par l’Organisation tunisienne de défense des droits des personnes handicapées à Tunis et Béja a mis en exergue que seulement 13% des personnes handicapées de 15 à 65 ans travaillent, que 8% sont inactives ou à la recherche d’un emploi et 26 % « y ont renoncé du fait des conditions non adaptées des services de l’emploi »
Les promesses du projet
Il s’agit d’un projet pilote qui a démarré en 2014, conçu en deux phases. La première s’achevant le mois de mars 2018 et la seconde en août 2019. Son objectif principal est d’offrir aux personnes handicapées des opportunités d’emploi du fait de l’implication de tous les partenaires concernés dans les gouvernorats de Ben Arous, Gabès, Gafsa et Bizerte où sont recensées quelque 35 000 personnes en situation de handicap. Précisément, le projet en question focalise sur un échantillon de 500 demandeurs d’emploi en favorisant les meilleures conditions d’accompagnement vers l’emploi ou l’auto-emploi. Tout un staff de spécialistes du monde du travail ( 60 prestataires et 100 professionnels des services d’insertion) ainsi que des conseillers à l’emploi de l’ANETI , de l’Unité locale de la promotion sociale , des associations spécialisées dans le domaine du handicap et les cadres de l’ATFP, ont conjugué leurs efforts pour faire avancer le projet. Ont été sollicités aussi 100 entreprises publiques et privées, des partenaires sociaux, l’UGTT et l’UTICA.