«Modernisation du secteur bancaire: enjeux de la réussite pour la Tunisie», tel est le thème du forum organisé, aujourd’hui, en présence de MM. Chedly Ayari, Gouverneur de la BCT, Fadhel Abdelkéfi, ministre du Développement, de l’investissement et de la coopération internationale et ministre des Finances par intérim, Ahmed El Karm, président de l’APBEFT, Laurent Gonnet, Principal spécialiste du secteur financier à la Banque mondiale, Fayçal Derbel, conseiller auprès du Chef du gouvernement, Moez Laâbidi, universitaire et conseiller auprès du ministre des Finances ainsi que des experts et banquiers de renommée.
Avant de céder la parole aux experts, Chedly Ayari a annoncé que le projet de modernisation du secteur bancaire et financier est un travail collectif auquel la BCT consacre tous ses efforts pour faire aboutir cette opération et atteindre des résultats pertinents.
Dans ce contexte, Fadhel Abdelkéfi a fait savoir que la restructuration du secteur bancaire va de pair avec sa modernisation en vue d’un développement économique optimal. «Qui dit modernisation, dit changements majeurs et de tendance. Et rien ne peut se faire sans qu’il y ait un vrai débat économique apaisé, autrement dit, un débat «business oriented», a-t-il averti.
Pour cette raison, des réflexions ont été lancées au profit des trois banques publiques. «Dernièrement, nous avons entamé la restructuration du portefeuille non stratégique de la BNA. Pour la BH, elle est sur la bonne voie et les chiffres de l’exercice 2016 le montrent. Quant à la STB, la réforme du système d’information et des ressources humaines est en bonne voie».
Cependant, la recapitalisation est aujourd’hui nécessaire. Il s’agit d’une locomotive qui va plus vite. Reste à préciser que la modernisation ne consiste pas seulement à ouvrir la restructuration capitalistique, elle consiste dans la bonne gouvernance ainsi que la possibilité d’être en compétition avec les banques privées et à laisser une marge de manoeuvre suffisante aux dirigeants des banques publiques.
Cette modernisation aura des cadences différentes. Pour ce faire, « nous sommes partis sur une analyse qui a été élaborée par la Banque mondiale mais avec des solutions qui sont tuniso-tunisiennes« . Dans ce sens, M. Abdelkéfi a demandé à toutes les parties prenantes de la patience et d’y croire : «Nous allons prendre notre temps, au rythme qu’il faut, sans retarder la réalisation des réformes pour faire réussir cette modernisation».
De son côté, Laurent Gonnet a rappelé que la Tunisie bénéficie d’un cadre de partenariat privilégié avec la Banque mondiale à l’horizon 2020. Ce partenariat repose sur trois axes prioritaires, à savoir la relance de la croissance économique à travers le secteur privé, l’appui au développement des régions défavorisées et la réalisation des réformes. S’inscrivant dans les objectifs du premier axe de ce partenariat, le projet de modernisation du secteur bancaire est soutenu par la BM.
Le gouvernement tunisien a, pour sa part, élaboré un plan ambitieux focalisé sur la bonne gouvernance, la nationalisation du pôle bancaire et l’amélioration du cadre législatif et réglementaire (réforme des origines des garanties, loi sur les crédits bancaires…).
Le fait d’opter pour la nationalisation du pôle bancaire, il y aura, selon ses propos, plus de gouvernance, de concurrence et de sécurité pour les déposants. Il y aura aussi une baisse des taux d’intérêt, un élargissement de maturité et de financement…
Pour faire réussir ces efforts, la BM va appuyer techniquement et financièrement cette modernisation, notamment des banques publiques, et va encourager l’Etat tunisien à mettre en place au sein de ces banques des partenariats avec le secteur privé.
Dans le même ordre d’idées, Ahmed El Karm estime que la modernisation du secteur bancaire se fonde sur un système d’information plus efficace et performant, une bonne gouvernance pour que la Place de Tunis respecte les normes internationales les plus exigeantes (Bâle III), un suivi des soucis de la clientèle (aspect technologique, formation des cadres, accommodement de réglementation, financement immatériel), une inclusion financière (un tiers des Tunisiens n’ont pas de compte bancaire à ce jour) et une amélioration de l’environnement bancaire à la fois en Tunisie et en dehors, notamment en Afrique.
Secteur bancaire tunisien et impératifs de conformité aux standards internationaux
Sur ce volet, Fayçal Derbel a affirmé que la pérennité du système bancaire constitue un facteur de développement économique d’un pays et de réussite de ses politiques publiques. Cette pérennité est soumise à des enjeux et des défis qui imposent une veille continue, notamment, pour répondre aux exigences.
En Tunisie, des efforts ont été faits pour la mise en œuvre des recommandations et des standards internationaux. Mais l’évolution du gap est indispensable pour poursuivre les actions de réforme et d’harmonisation et définir les actions futures.
Revenant sur les réalisations, M. Derbel a précisé que depuis la mise en place de Bâle II en 2004, les autorités ont fait évoluer la réglementation pour une meilleure conformité, et ce, via la lutte contre le blanchiment, les exigences quantitatives en matière de gestion, de couverture de risque, de liquidité, et ce, en parfaite harmonie avec la publication de la loi bancaire et de la loi relative aux statuts de la BCT. Mais les nouvelles exigences posent des contraintes majeures pour la Tunisie. Il s’agit de contraintes de solvabilité, de liquidité et de l’effet de levier.
En ce qui concerne le gap, le responsable a constaté que plusieurs banques affichent une relative conformité par rapport à certains ratios de Bâle III. L’application de ces normes augmente les risques car aucune banque ne respecte le ratio de l’effet de levier et les fonds propres s’avèrent insuffisants.
Face à ce constat, la poursuite de la réforme impose l’obligation de résultats, notamment la convergence vers les principales réglementations internationales en matière comptable, prudentielle et de gouvernance.
A cet égard, le gouvernement et la BCT ont été appelés à définir une feuille de route, une approche méthodologique, des préalables requis d’implémentation, la revue du système comptable, un assainissement des banques publiques et une levée des obstacles et handicaps par rapport aux banques privées.
De leur côté, les banques ont été appelées à engager la refonte, à moderniser le système d’information, mobiliser et sensibiliser les ressources humaines, à ajuster les fonds propres et les conditions d’accès aux crédits et à externaliser les risques.
Au final, Fayçal Derbel a affirmé que des efforts ont été faits mais il reste encore beaucoup à faire parce que «normer c’est gagner».
Des réformes inachevées, des risques amplifiés…
Moez Laâbidi a souligné que la restructuration des banques publiques est imposée par le choix de l’ouverture réelle et financière au niveau des systèmes. La Tunisie a opté pour cette ouverture pour gagner la bataille de la compétitivité et de la stabilité financière visant à avoir des banques solides et innovantes.
Cette restructuration est boostée par le contexte de crise économique et financière internationale, marqué par l’instabilité financière et le risque systémique, et devrait déboucher sur une réelle stabilité des prix et financière et une régulation macro et micro prudentielle. Sinon le risque de non-achèvement des actions de réforme pourrait être mal vécu par le secteur bancaire et entraîner la dégradation de la notation et le non-respect des normes dans la stabilité financière à travers des risques systémiques dans le financement de l’économie via l’exclusion des PME et dans les finances publiques à travers l’effet d’éviction ainsi que le creusement du déficit budgétaire. Tous ces risques résulteront en une facture salée en termes d’emploi et de croissance.
Afin de les prévenir, il demeure, selon M. Laâbidi, nécessaire d’élargir le périmètre de la réforme au sein et au-delà du système financier. La réforme doit plutôt toucher la BCT, le marché des capitaux, le secteur bancaire, la gouvernance des entreprises publiques et autres sinon les fondamentaux de l’économie risquent de se dégrader davantage.
En conclusion, Moez Laâbidi a estimé que pour se diriger vers une croissance durable et par conséquent une finance durable, il importe d’engager une réforme audacieuse porteuse d’une vision stratégique, basée sur une finance respectueuse de la dimension sociale et environnementale et de la crédibilité (transparence, performance et bonne gouvernance).