Jérusalem est à la fois le théâtre et l’enjeu de l’un des cycles de violence qui rythment le conflit israélo-palestinien. Après l’attaque sur l’Esplanade des mosquées (le mont du Temple, pour les juifs) contre des policiers israéliens, causant la mort de deux d’entre eux, le gouvernement israélien a installé des « portiques de sécurité », dont la portée politique et symbolique va au-delà du simple instrument de prévention contre tout attentat.
Les Palestiniens – y compris les Arabes israéliens – ont en effet interprété cette décision non seulement comme un acte de violation du statu quo qui régit le statut de ce lieu saint, mais aussi comme une décision destinée à démontrer la souveraineté de fait qu’exerce Israël sur cet espace sacré et disputé.
D’ailleurs, l’actuelle tension n’est pas sans rappeler la genèse de la seconde intifadha (2000-2005), quand Ariel Sharon, alors chef du Likoud, visite l’Esplanade des mosquées, troisième lieu saint de l’islam, et provoque de violentes émeutes en Israël et dans les territoires palestiniens.
Il est vrai que la ville symbolise à elle seule le caractère complexe et multidimensionnel du conflit israélo-palestinien: religieux, certes, mais surtout idéologique/nationaliste et territorial. Jérusalem abrite les lieux saints des trois religions monothéistes. Une ville «trois fois sainte», en somme, et source de tensions interreligieuses continues et plus ou moins intenses.
Le «noble sanctuaire» (selon les musulmans) est le troisième lieu saint de l’Islam: il recouvre le dôme du Rocher et la mosquée d’Al-Aqsa. Selon la tradition juive, le mont du Temple (détruit en 70 par l’Empire romain) était en lieu et place d’Al-Aqsa. Depuis l’annexion de Jérusalem-Est, Israël a pris le contrôle du mont du Temple, qui demeure administré par le Waqf, l’office des biens musulmans sous la souveraineté de la Jordanie.
Un accord conclu en avril 2013 entre la Jordanie et l’Autorité palestinienne a officialisé le rôle du royaume comme gardien des lieux saints musulmans de Jérusalem. Toutefois, la police et l’armée israéliennes assurent l’ordre et contrôlent l’accès au site (autorisé en principe aux seuls musulmans qui viennent y prier, et interdits aux juifs à l’exception de certaines heures).
Au-delà de cette dimension complexe mêlant identité nationale et religieuse, Jérusalem demeure au centre de la construction idéologique et territoriale du nationalisme israélien et palestinien. Ainsi, après l’annexion de la partie arabe de la ville, la Knesset a déclaré – en décembre 1980 – Jérusalem «réunifiée» comme «capitale» («éternelle et indivisible») de l’État d’Israël. Une revendication -rejetée par la communauté internationale, y compris par les puissances occidentales- qui s’oppose frontalement à la volonté des Palestiniens de faire de Jérusalem-Est la capitale de leur hypothétique futur État.
Ces prétentions antagonistes s’inscrivent dans l’histoire même du conflit israélo-arabe et israélo-palestinien. Si la partie arabe de la ville fait partie intégrante de la Cisjordanie, la résolution onusienne n° 181 du 29 novembre 1947 sur le plan du partage de la Palestine reconnaît à la ville sainte un statut d’entité séparée qui la place sous le contrôle des Nations unies. Elle devait ainsi être dotée d’un statut international.
À l’issue de la première guerre israélo-arabe, la partie orientale de Jérusalem a été conquise par l’armée jordanienne, la partie occidentale étant annexée par Israël qui en a fait sa capitale. La «guerre des Six Jours en 1967 marque un tournant symbolisé par l’annexion israélienne de Jérusalem-Est. Le gouvernement de Levy Eshkol entreprend une politique de «colonisation-judaïsation» de Jérusalem-Est, qui se traduit encore aujourd’hui par une succession d’expropriation et de construction de logements.
Pourtant la résolution 242 du Conseil de sécurité (22 novembre 1967) évoque «le retrait des forces armées israéliennes de(s) Territoires occupés» dans le cadre de l’instauration d’une paix durable.
Si le droit international est suffisamment clair et univoque sur l’illégalité de la stratégie israélienne d’occupation et de colonisation à Jérusalem-Est, l’État hébreu continue de faire fi du droit international. Or c’est cet unilatéralisme israélien qui nourrit l’absence de perspective de résolution du conflit avec les Palestiniens…