L’histoire de la Tunisie indépendante n’a certainement pas encore dévoilé tous ses secrets. Celle de l’Union générale des étudiants tunisiens (UGET) l’est encore plus vu les les différentes facettes qu’a donné à voir un mouvement qui demeure jusqu’aujourd’hui controversé.
Réécrire l’histoire de cette organisation qui a marqué de son empreinte l’Histoire contemporaine du pays, telle est la tâche ardue à laquelle les anciens de l’UGET se sont attelés.
Invités par l’Association des anciens de l’UGET à se réunir hier, dimanche 30 juillet 2017, à Sousse, ils ont été nombreux à répondre présent à l’invitation. Parmi eux des personnalités de la génération des bâtisseurs de l’Etat tunisien indépendant et moderne tels Taher Belkhoja, l’ancien ministre de l’Intérieur sous Bourguiba, Mohamed Enaceur, président de l’ARP, Mansour Moalla, ancien ministre des Finances et du plan sous Bourguiba, Mustapha Ben Jaâfar, ex- président de l’ ANC (Assemblée nationale constituante), Kamel Morjane, président du parti Al Moubadara et ancien ministre de la Défense et des Affaires étrangères. Ils étaient tous là pour une rencontre que les organisateurs ont voulu mémorable et surtout nostalgique, mais qui s’est transformée en un vrai débat critique qui a porté sur le passé, mais aussi, et surtout, sur le présent.
« Il faut que nous arrivions à retracer l’UGET et l’histoire de l’UGET », c’était le mot d’ordre autour duquel les présents étaient tous unanimes. Sa contribution extraordinaire au mouvement national et à la libération, son apport au rayonnement de la Tunisie dans son environnement maghrébin, arabe et africain ont été inestimables. C’était l’époque où tout le monde parlait de l’UGET, au niveau national et international. De nos jours, on n’en parle presque plus. C’est pourquoi, faire connaître cette histoire est la première préoccupation des générations successives de l’organisation syndicale estudiantine.
Kamel Morjane : l’histoire glorieuse de l’UGET ne doit pas être jetée aux oubliettes
Le président du parti Al Moubadara s’est félicité de cette initiative qui représente une occasion de se remémorer l’histoire glorieuse d’une organisation qui a su marquer de son empreinte des phases importantes de l’histoire du pays. Ayant contribué au mouvement de libération nationale, elle a fourni au pays les cadres qui se sont attelés à la tâche de l’édification de l’Etat tunisien indépendant et moderne. M. Morjane a fait part de son souhait de voir les générations anciennes raviver la flamme de leur attachement à l’organisation estudiantine et tisser les liens avec la génération actuelle afin de permettre à l’UGET de redorer son blason et de de contribuer à relever les défis d’aujourd’hui.
Taher Belkhoja : inutile de remuer le couteau dans la plaie
Pour Taher Belkhoja, ancien secrétaire général de l’UGET des années 60 et ancien ministre de l’Intérieur sous Bourguiba, la question cruciale est celle de savoir comment transmettre le flambeau des anciennes générations à la génération actuelle pour poursuivre la marche qui a commencé il y a voilà plus de soixante ans.
Cependant, afin d’atteindre cet objectif, il faut cesser, selon lui, de faire une fixation sur les erreurs du passé, « cela ne veut pas dire les ignorer, car il faut en tirer les leçons, car tous les congrès de l’UGET depuis sa création étaient controversés, il n’y a pas uniquement le congrès de 1971 ».
Concernant la rencontre d’hier, M. Belkhoja estime que ce sont de belles retrouvailles entre des personnes qui ne se sont pas vues depuis des décennies. Cela permet, selon lui, de raviver les souvenirs et de se remettre en question, mais surtout de se rappeler que le pays a une histoire pleine de réussites et d’échecs aussi. Il ajoute qu’ on ne peut tirer les leçons de l’Histoire sans qu’on ne soit en possession d’une vision sérieuse pour l’avenir. : « Toutes les personnes ici présentes n’ont plus d’ambitions personnelles. Cela n’empêche qu’elles soient prêtes à apporter leur contribution pour aider le pays à sortir de la crise actuelle. N’oublions pas que l’UGET était la pépinière qui a formé les cadres de l’Etat et c’est avec une très grande amertume qu’on regarde où en sont arrivées les choses actuellement au sein de l’organisation ».
Ce qui manque à la génération actuelle c’est d’avoir un référentiel qui montre la voie. Ce référentiel devrait être ressuscité tout en l’adaptant au contexte actuel.
Mohamed Ennaceur : la deuxième République a besoin de l’UGET
Mohamed Ennaceur, président de l’ARP, considère que l’ actuelle UGET devrait être en mesure de se hisser à la hauteur des défis de la deuxième République. À ses débuts, l’organisation estudiantine réunissait des militants de toutes les familles politiques et de toutes tendances idéologiques, unis autour d’un rêve partagé, celui de bâtir une Tunisie libre et juste dont se souciaient les pionniers de la première République. La deuxième République « pose de nouveaux défis liés aux mutations importantes que connaît notre pays et le monde aussi et qui ont conduit à l’émergence de nouvelles revendications », notamment, l’emploi pour les diplômés universitaires au chômage.
Aïssa Baccouche : personne ne monopolise à lui seul la vérité
Se voulant critique vis-à-vis des péripéties du 18e congrès hautement controversé de l’UGET en 1971, Aïssa Baccouche, ancien secrétaire général, n’a pas manqué de faire remarquer que l’UGET dans son état actuel est à l’image de l’ensemble des institutions du pays. Elle ne peut pas faire exception. Cependant, il estime que la nouvelle génération a besoin de connaître la vraie histoire du mouvement estudiantin avec tous ses acquis et ses erreurs, afin qu’elle puisse retrouver un nouveau souffle. Comme autrefois, l’UGET a un rôle à jouer aujourd’hui.
Cependant, s’il est indispensable d’écrire l’histoire du mouvement estudiantin tunisien depuis sa constitution, il faut avoir présent à l’esprit que personne ne peut prétendre détenir le monopole de la vérité. Pour lui, toutes les parties devraient apporter leur contribution dans la reconstitution des faits pour parvenir à la vérité.
Aïssa Baccouche n’a pas manqué de constater, non sans regret, que le congrès de Korba de 1971 était l’occasion ratée pour l’entame du projet démocratique dans le pays. « On a voulu au sein de UGET que ce congre soit l’occasion pour ouvrir les structures de l’organisation aux autres composantes du mouvement, mais malheureusement notre tentative a avortée », a-t-il dit.
Mustapha Ben Jaâfar : l’impératif d’une lecture critique de l’histoire de l’UGET
L’ex- président de l’ANC, Mustapha Ben Jaafar a appelé a une lecture critique de l’histoire de l’UGET. Une lecture qui, sans renier les acquis, doit mettre l’accent aussi sur les erreurs commises.
Selon lui, « si l’expérience démocratique actuelle a réussi, c’est parce que l’expérience post-indépendance a réussi ». Toujours est-il que les erreurs commises ont causé un grand tort au pays. Le congrès du parti destourien en 1971, celui de l’UGET la même année, janvier 1978 et les élections de 1981 sont toutes des dates sur lesquelles il faut s’arrêter pour qu’on puisse avancer. C’est l’unique base pour lui sur laquelle devrait se réaliser la réconciliation avec l’Histoire.
Et M. Ben Jaâfar d’ajouter que « si l’UGET a réussi sa mission après l’indépendance, c’est parce qu’elle était inclusive et ouverte à toutes les tendances, mais lorsqu’ il est devenu exclusif, ceci a suscité la dérive qu’on connaît aujourd’hui, car il a dévié de sa mission initiale ».
Habib Kazdoghli : il faut réconcilier la génération des bâtisseurs et celle des contestataires
En historien expert de l’histoire tunisienne contemporaine, le doyen de la faculté des Lettres, des Arts et des Sciences humaines de La Manouba, a considéré les 64 années de l’histoire de l’UGET comprennent deux grandes phases : la première de 1952 jusqu’à 1971 a duré 18 années pendant lesquelles l’organisation a été une pépinière pour former les bâtisseurs de la République. La deuxième, beaucoup plus longue puisqu’elle s’est étalée sur 46 ans, a commencé à partir de 1971 jusqu’à aujourd’hui. C’est la période des contestataires de la République. Pour le doyen, cette nouvelle donne est à prendre en considération dans la lecture de l’histoire de l’organisation.
Pour lui, la situation actuelle par laquelle passe l’université est pour le moins inquiétante. Les taux de participation des étudiants aux élections des conseils scientifiques varient entre 10 et 15 %, c’est parce que l’activité syndicale universitaire est devenue hyper politisée.
« L’université a perdu sa vocation initiale d’être une école de citoyenneté à une époque où la vie culturelle était au cœur de l’université », et c’est cette vocation qu’il faudrait faire renaître dans l’esprit et les activités des étudiants d’aujourd’hui.