Impossible de croire que cela soit –seulement du moins- le fait d’un « changement d’habitude » comme l’a laissé entendre le Cheikh. Ce changement de look semble vouloir rassembler au-delà de son parti. Cap sur la présidentielle de 2019 ?
Les réseaux sociaux se sont enflammés, comme il fallait s’y attendre, pour le nouveau look du président du parti d’Ennahdha, Rached Ghannouchi. La plupart des commentaires y ont vu, grosso modo, une –nouvelle- manœuvre politique du chef d’un mouvement qui a réussi, depuis le 14 janvier 2011, à traverser bien des crises et à renaître chaque fois, à l’image du phénix, de ses cendres.
Le soir du 1 er août 2017, le chef du parti islamiste apparaissait sur la chaîne Nessma Tv, et pour la première fois, en un costume cravate. De surcroît un costume d’un bleu foncé qui dont le code des couleurs, disent les spécialistes, « dégage la vérité, la confiance, la loyauté, l’intelligence et l’assurance ».
Impossible de croire que cela soit –seulement du moins – le fait d’un « changement d’habitude » comme l’a laissé entendre le Cheikh. Ce changement de look semble vouloir signifier transmettre des messages au peuple tunisien.
« Un pas vers l’Etat »
S’agit-il comme l’a annoncé le dirigeant d’Ennahdha, Lotfi Zeitoun, un des proches du Cheikh, d’ « une sortie du cadre de la communauté et d’un pas vers l’Etat » ? Devrons-nous comprendre par là que le président d’Ennahda sort du carcan d’un parti pour ratisser plus large; ambitionne-t-il, et c’est sans doute là l’essentiel, de s’adresser aux Tunisiens au-delà des partis.
Arrêtons-nous ici pour avancer deux choses. La première c’est qu’il est du domaine de l’impossible que le président d’Ennahdha ait opéré ce changement de look comme cela d’un coup. Sans qu’il veuille signifier par là quelque chose de précis.
Gageons que nourri, comme du reste nombre de dirigeants du mouvement Ennahdha, à la sève anglo-saxonne, pour avoir vécu à Londres pendant leur exil, celle de l’importance du paraître dans toute communication, le Cheikh a bel et bien soigné son apparition du soir du 1 er août 2017 sur Nessma Tv.
La seconde est qu’une abondante littérature nous renseigne sur ce type de mutation. Dans « François Mitterrand, portrait d’un ambigu, Paris : Edition Nouveau Monde, 2015, 891 pages), le biographe Philipe Short, explique comment le grand publicitaire Jacques Séguéla, recruté par François Mitterrand pour s’occuper de sa communication en vue de l’élection présidentielle, en France, de 1981, qu’il a du reste remportée, lui imposa de changer de garde-robe et de…limer ses canines.
La voie est peut-être libre pour la Présidentielle
Posons dans ces conditions la question qui est dans toutes les bouches : Rached Ghannouchi ambitionne-t-il d’être un candidat à la présidentielle de 2019 ? Certains le pensent notamment après qu’il a demandé à Youssef Chahed, seul capable à ses yeux, selon certains, de le concurrencer, de ne pas se présenter à la prochaine présidentielle. Bien entendu on ne peut dire qu’un dirigeant politique de cette trempe n’a pas été tenté un jour –ce qui est de son droit- de devenir chef de l’Etat.
Evidemment les prochains jours nous montreront si c’est bien le cas. L’ambition du président d’Ennahdha n’est peut-être pas personnelle. Mais concerne son mouvement qu’il souhaite voir évoluer vers une réelle modernité politique.
Rached Ghannouchi peut cependant penser que la voie est peut-être libre. Le principal concurrent d’Ennahdha, Nidaa Tounes, n’est plus du reste le principal parti politique du pays. Depuis qu’il a évolué vers cinq partis. Et qu’il n’est plus majoritaire à l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) : 67 députés, après ce qui ressemble à des quasi-sécessions, contre 69 pour Ennahdha.
Le Président de la République, Béji Caïd Essebsi, n’a pas manifesté, en outre, jusqu’ici, une quelconque ambition de se représenter.
Comment faire avec un monde qui bouge ?
En y regardant de plus près, on pourra dire que le Cheikh a peut-être bien préparé sa mue. Des étapes semblent être cruciales dans cette conquête de la magistrature suprême. Comme le fait qu’Ennahdha ait décidé dans son dixième congrès, de mai 2016, la séparation du religieux et du politique.
Ou comme le fait qu’il ait intégré les gouvernements sortis des urnes d’octobre 2015 acceptant de conclure avec Nidaa Tounes –mais pas seulement- une sorte d’aggiornamento à la tunisienne.
La conclusion récente d’un accord en vue de créer une réelle coordination entre Nidaa Tounes et Ennahdha au sein de l’ARP participe encore sans doute de la construction de ce puzzle politique qui ne peut que favoriser une gestion sans conflit de la scène politique.
Et lorsqu’on voit défiler ce qui a fait grincer la machine d’Ennahdha, depuis le 14 janvier 2011, on se rend compte que le parti a décidé de ne laisser rien au hasard.
Reste maintenant à savoir comment faire avec un monde qui bouge. Et pas toujours dans le sens souhaité par Ennahdah. Les choses ne sont plus ce qu’elles étaient au lendemain du déclenchement du printemps arabe.
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