Le 3 août, c’est la date de la naissance en 1903, certains disent en 1900, du leader Habib Bourguiba. Un homme qui a donné à la Tunisie d’aujourd’hui son cachet particulier qui la distingue de la totalité des autres pays arabes.
Le Combattant suprême, comme cela lui plaisait d’être appelé, le Zaim, comme cela est devenu courant de le baptiser aujourd’hui, a laissé lors de son passage à la tête de l’Etat indépendant des marques profondes et durables.
Que faudrait-il aujourd’hui retenir de Bourguiba, dans un contexte de transition tunisienne marqué, entre autres, par ce grand « retour à Bourguiba » ? L’homme est devenu la convoitise de toutes les forces politiques, même ses opposants et détracteurs les plus virulents. Mais c’est surtout la société tunisienne, en quête d’une nouvelle identité suite à la chute de l’autoritarisme, qui a manifesté à plusieurs reprises sa conviction que le legs bourguibien est, à différents égards, incontournable et que la Tunisie d’aujourd’hui est, et devrait rester, ce que Bourguiba a fait d’elle.
Géniteur, comme beaucoup d’autres, d’un pouvoir autoritaire, Bourguiba a pourtant fait l’exception parmi ses pairs arabes et africains. Bourguiba était, en effet, porteur d’un projet pour la Tunisie. Il bénéficiait pour cela d’une légitimité populaire, si forte, au point où rien ne pouvait l’arrêter et l’empêcher de venir à bout de son projet. Sans cette légitimité populaire et l’adhésion de tous à la vision à long terme du leader, l’acceptation, mais surtout, l’ancrage des réformes qu’il a mises en œuvre, n’auraient pas pu aboutir à cette mutation radicale qu’a connue la Tunisie le long de plus de deux décennies, et qui ont fait d’elle ce qu’elle est actuellement.
Le vrai acteur et mobilisateur de la révolution de 2011 et de la transition qui en a suivi, c’est bien Bourguiba, pensent certains. Ce personnage qui s’est fait ressusciter, lors des moments forts de la transition notamment, sous forme d’idéaux qui rappellent aux Tunisiens qui ils sont vraiment. La démocratisation de l’enseignement qui a joué, des décennies durant, pleinement son rôle d’ascenseur social, la libération de la femme qui s’est transformée durant ces années de transition en vraie boussole qui oriente les différentes réformes de la deuxième République, la modernisation de l’Etat et l’institutionnalisation de secteurs, tels la juridiction, les « hbous » et bien d’autres instances qui bénéficiaient avant l’indépendance d’une autorité autonome, mais qui menaçaient la société tunisienne tout entière de scissions et de discordes, grâce aux pouvoirs dont ils étaient dotés et qui s’exerçaient hors de la sphère de l’Etat. C’est tout ça l’œuvre de Bourguiba.
L’idée forte de Bourguiba était de croire que la vraie richesse sur laquelle il faut miser et dans laquelle il faut investir, c’est l’être humain. Car les richesses naturelles, bien qu’indispensables, ne sauraient garantir à elles seules l’avenir de la société. Tel était Bourguiba et c’est cette image-là de l’homme qui a été ressuscitée lors de ces années post-révolution.
Ces dernières années, un vrai « retour à Bourguiba » a commencé à voir le jour et se manifester dans des discours politiques de différents bords idéologiques. Même les islamiste d’Ennahdha, ennemis farouches de Bourguiba, ont apporté leur contribution à ce retour. Tout ce beau monde politique, en mal de repères, mais surtout, en quête de légitimité, cherche à se créer, à travers Bourguiba, une identité qui permet de les ancrer dans une réalité tunisienne actuelle, marquée par les incertitudes, marque distinctive de tout processus de transition. C’est comme si, la seule certitude qui demeure intacte est cette Tunisie, conçue et bâtie par Bourguiba.
Qui sommons-nous ? Que voulons-nous faire ? Où voulons-nous aller ? Ce sont là, les questions cruciales que se posent les Tunisiens aujourd’hui. Cependant, la seule source d’inspiration pour apporter les réponses adéquates à ces interrogations est Bourguiba et son legs qui est resté vivant malgré les vicissitudes et les mauvais tours de l’Histoire.
Le projet bourguibien a bien été, à un certain moment de la transition tunisienne, menacé. Mais ces menaces, venues de la part des islamistes, et autres nationalistes arabes, se sont heurtées à une forte conscience populaire qui s’est dressée en bouclier infranchissable contre la tentation qui a animé les efforts de certains de faire table rase de l’édifice bourguibien et d’annoncer l’échec de son projet.