La rencontre qui a eu lieu hier, jeudi 10 août 2017 au siège de l’Union syndicale des travailleurs du Maghreb Arabe (USTMA), entre le président du parti Ennahdha, Rached Ghannouchi, et le secrétaire général de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) suscite plusieurs interrogations.
D’ailleurs, dans les communiqués respectifs d’Ennahdha et de l’UGTT, publiés à l’issue de la rencontre, on puise toujours dans la langue de bois qui dissimule plus qu’elle n’exprime le contenu réel de la rencontre. Derrière l’expression bateau : « La rencontre a permis de dresser un état des lieux de la situation générale dans le pays », l’impression qui prévaut est que les deux communiqués sont rédigés pour cacher plus que pour dire.
Et pourtant, le timing de la rencontre et son lieu aussi évoquent plus d’une question. La première est en rapport avec le choix du siège de l’USTMA comme lieu de la rencontre. L’endroit est devenu désormais, depuis 2013, chargé de symbolique, puisque c’est là où ont eu lieu les tractations qui ont abouti en 2013 au processus du dialogue national qui a eu le mérite de substituer à la légitimité électorale celle du compromis et du consensus.
De ce point de vue, on a l’impression qu’un message indirect, de la part de Taboubi, a été adressé à Ghannouchi pour lui rappeler que, non seulement la phase actuelle est encore régie par le compromis, mais aussi que le seul garant de l’aboutissement de ce compromis à ces fins est bien la centrale syndicale.
Ceci est significatif au vu du contexte politique dans lequel s’est déroulée la rencontre. Un contexte marqué par deux événements majeurs : tout d’abord, la déclaration des derniers jours de Ghannouchi à l’adresse de Youssef Chahed lui suggérant de s’engager à ne pas se porter candidat aux élections présidentielles de 2019, et ce, contre le soutien du parti Ennahdha à son gouvernement. De ce point de vue, la rencontre pourrait être appréhendée comme un rappel à l’ordre de la part de l’UGTT adressé à l’intention de Ghannouchi, insinuant que le moment où le parti islamiste pourrait se réclamer du statut de faiseur de pluie et de beau temps en Tunisie n’est pas encore venu tant que la centrale syndicale est encore le catalyseur de la transition démocratique et politique dans le pays.
Il ne faut pas oublier, dans ce cadre, ce que certains dirigeants d’Ennahdha, à l’instar de Houcine Jaziri, député et ex-secrétaire d’Etat à l’Emploi et à la Formation professionnelle, réputé surtout comme proche de Ghannouchi, ont adressé à Youssef Chahed un message qui dépasse un conseil d’amis, comme ils le prétendent, l’invitant à « ne pas tenir tête au parti Ennahdha sinon il serait le plus grand perdant ».
Dans ce contexte quelque peu tendu, revoilà le dossier des relations tuniso-syriennes – renvoyé aux calendes grecques depuis quelques années – qui remonte à la surface suite à la visite, ces dernières semaines, d’une délégation syndicale en Syrie suivie quelques jours après d’une délégation de parlementaires. Ayant pour but la restauration des relations diplomatiques entre les deux pays, ces deux visites ont eu un impact certain sur la position de certaines parties, avec à leur tête le parti Ennahdha, hostiles à un éventuel retour à la normale des relations entre la Tunisie et la Syrie.
Si les deux visites ont eu pour effet la remise en cause de la position de certaines parties, à l’instar de Abdellatif El Mekki, qui n’a pas hésité ces derniers jours à déclarer que la rupture des relations avec la Syrie était une très grave erreur, un changement de position vis-à-vis de ce dossier de la part du parti Ennahdha permettra certainement de franchir un grand pas vers la réhabilitation des relations avec la Syrie.
La position de Ghannouchi particulièrement, toujours attentif à ne pas provoquer contre lui la colère de ses amis qataris et turcs, est dans ce cadre importante dans le sens où elle évite une éventuelle crise politique interne relative à ce dossier.