De prime abord, il faut noter que pour la deuxième année consécutive, l’économie tunisienne n’a pas connu le sort qu’elle a connu en 2013, 2014 et 2015. Contrairement à ces années, l’économie tunisienne se trouve à l’abri, pour le moment du moins, d’un choc exogène qu’il soit sécuritaire, énergétique, ou économique. L’amélioration du rendement de l’appareil sécuritaire a permis à l’économie tunisienne de souffler un tant soit peu et de reprendre petit à petit son dynamisme profitant de la baisse des prix de l’énergie à l’échelle mondiale (115 $ en 2013, 108 $ en avril 2014 et 50 $ août 2017). Ce reflux a permis de réduire les subventions énergétiques et d’élargir l’espace fiscal.
Certes, l’économie tunisienne se redresse, mais demeure sur une dynamique de croissance molle, fragile, faible et menacée. En attendant la publication par l’INS des performances de la croissance économique en Tunisie durant le deuxième trimestre de 2017, le FMI a déjà revu à la baisse ses prévisions de croissance à 2,3% en 2017 contre 3% prévus initialement. Si ce recul de l’activité était confirmé, cela prouverait que l’économie tunisienne peine à se remettre des chocs sécuritaires successifs subis entre 2012 et 2015 et à retrouver son dynamisme habituel, en dépit de certains signes encourageants constatés au niveau de certains secteurs clés comme le tourisme ou le phosphate.
- La confiance fait défaut
Il semble que le retour de la confiance envers la Tunisie tarde encore à se manifester particulièrement à deux niveaux : sécuritaire et social. La persistance des risques sécuritaires provenant d’un pays limitrophe et la montée de la contestation sociale, que ce soit dans le sud ou ailleurs, ont sapé la confiance des investisseurs, alourdi le fardeau des finances publiques et confisqué, in fine, la reprise économique. Avec un taux de croissance attendu de 2,3%, l’économie tunisienne se redresse un tant soit peu, mais la reprise de l’activité économique demeure en-deçà des espérances et s’avère particulièrement plus lente et plus longue que prévue.
Une si faible performance économique aura incontestablement des effets non désirables en termes d’équilibres macroéconomiques. Elle empêchera l’économie de retrouver assez rapidement ses équilibres en termes de chômage, inflation, équilibre extérieur et déficit public.
- Les équilibres macroéconomiques : constat mitigé
Dans l’ensemble, les équilibres macroéconomiques se détériorent en 2017, en dépit de quelques performances au niveau de certains indicateurs. Les projections pour 2017 confirment la stabilité de l’inflation à un niveau relativement faible (4,5%), la baisse modérée du déficit courant (-8,5%) et une difficulté notable à maîtriser le déficit public qui demeure élevé (-5,9%) et constitue en soi un échec de performance de la part du gouvernement. A cet égard, on doit reconnaître que la baisse du prix du pétrole amorcée à partir de 2014 a constitué une occasion en or pour redresser les déséquilibres des finances publiques, réduire la dette publique, augmenter les dépenses d’investissement et renflouer les caisses de retraite. Les choix de politiques économiques ont été autres.
Les cinq premiers mois de 2017 montrent une progression faible (2,2%) des IDE dont le volume, de l’ordre de 821 MDT, n’a pas pu contribuer à combler quelque peu l’érosion des réserves en devises créée par le déficit de la balance courante et à réduire la pression sur la valeur du dinar contre l’euro et le dollar. La chute sans précédent de la valeur du dinar en mai 2017 (-18%), conjuguée à la hausse du taux d’intérêt, aura incontestablement des répercussions sur les perspectives de croissance en Tunisie. Si rien n’est fait en termes d’orientation de politiques économiques pour contrecarrer la dépréciation du dinar et la hausse du taux d’intérêt, alors il est très probable que le taux de change et le taux débiteur en vigueur soient susceptibles de casser les perspectives de croissance au lieu de les soutenir. Cela est d’autant vraisemblable que l’inflation n’est pas d’origine monétaire et la dépréciation ne résorbera pas le déficit commercial. Il est de la responsabilité du gouvernement de prendre conscience de cette vérité et d’orienter ses politiques de sorte à contrecarrer la dépréciation du dinar et la hausse du taux d’intérêt. Historiquement, ce que l’on constate c’est qu’une fois que le dinar perd de sa valeur face à l’euro et au dollar, la dépréciation s’avère être définitive et irréversible. Les chances de revoir le dinar reprendre sa valeur sont minimes. La perte de compétitivité devient ainsi structurelle.
La difficulté de maîtriser le déficit public et de contrecarrer la dépréciation du dinar se répercute mécaniquement sur l’encours de la dette publique dont le ratio par rapport au PIB s’approche dangereusement de la barre de 69,1% en 2017 pour atteindre un niveau historique en 2018 de 72.1% contre 57.2% en 2015. Certes, une hausse de la dette publique de quatre points du PIB doit être imputée à une révision de la définition de la dette où les dépôts de la Poste sont considérés désormais comme composante de la dette publique. Il n’en demeure pas moins vrai que le dérapage des finances publiques constaté aujourd’hui n’est plus tolérable et que la rigueur budgétaire s’impose avec insistance. De ce point de vue, aussi bien les effectifs que les rémunérations dans la fonction publique doivent être gérés plus efficacement pour éviter de se retrouver au-dessus de la barre de 15% du PIB en 2017 en indexant, par exemple, la majoration des salaires sur les gains de productivité ou carrément décider un gel des salaires des fonctionnaires et des prix des produits de base. Les autres solutions seraient aussi de résorber les sureffectifs là où ils sont, de recourir davantage à la sous-traitance, de redresser les entreprises publiques déficitaires et d’améliorer la qualité des prestations publiques. Le but ultime étant de moderniser l’administration publique et d’augmenter son efficacité en luttant contre la corruption, les lenteurs administratives et le laxisme dans l’application des lois en vigueur. Ce sont tous ces facteurs qui constituent autant de freins au développement d’un tissu productif concurrentiel et dynamique.
Quant à l’emploi, il reste faible mais stable puisque le taux de chômage est au niveau de 15.3% (chiffre du premier trimestre 2017). En d’autres termes, si le chômage ne s’améliore pas, il ne s’aggrave pas en dépit d’une croissance économique faible. En revanche, il constitue une source de contestation sociale dans les régions de l’intérieur (Kamour, Kébili, etc.), où le taux de chômage est plus élevé que la moyenne nationale.
L’autre facteur qui est venu compliquer l’équation d’une véritable reprise économique est celui lié à la confiance des acteurs économiques et aux opportunités d’investissement, à savoir le ralentissement du crédit bancaire dont les projections prévoient une progression de seulement 7,2% sur l’année 2017. Le fait que le crédit bancaire est en panne constitue une preuve de plus que le contexte socio-politique demeure incertain et pèse encore lourdement sur les perspectives d’investissements. La montée des taux d’intérêt a constitué un contre-signal négatif pour un bon take-off du crédit d’investissement, en augmentant les charges financières des entreprises qui sont déjà prises au piège par une conjoncture difficile se facturant par une contribution fiscale supplémentaire de 7,5% des bénéfices de l’exercice 2016.
- Accroître la cadence des réformes économiques
A vrai dire, l’économie tunisienne s’efforce d’avancer sur l’idée d’une justice sociale, une économie libérale et une société démocratique. Toutefois, la justice sociale doit aller de paire avec l’efficience économique. Il est alors impératif de gagner le pari d’une économie de plein emploi, innovante et compétitive. Cela suppose d’être en mesure de construire une «compétitivité industrielle intégrée et solidaire». Une condition est nécessaire : obtenir la stabilité socio-politique par une reprise de la croissance économique qui soit durable, inclusive et à même de redresser la faiblesse structurelle de la compétitivité des entreprises. A ce niveau, il va falloir reconnaître que le calendrier des réformes économiques dans ce pays accuse un retard flagrant et les projets qui visent les changements structurels avancent à petits pas, que ce soit au niveau de leur conception ou de leur implémentation. Un tel retard ne fait que différer les changements structurels à même de booster la croissance économique. Autrement dit, la reprise économique est quelque peu en panne, à cause de la faible cadence des réformes économiques susceptibles de mettre les bases d’une économie innovatrice, compétitive, entrepreneuriale, dotée d’institutions de régulation et de surveillance efficaces, impartiales et non corrompues.
La stratégie qui s’attaque aux problèmes structurels doit viser, in fine, l’amélioration de la productivité des facteurs à travers la réforme des services publics. Les services de la santé, du transport aérien et terrestre, de l’internet haut débit et de l’éducation publique doivent être les premiers concernés par l’amélioration de l’efficacité et de la qualité. Cela suppose un courage politique de la part de l’équipe gouvernementale et une détermination à engager les réformes qui s’imposent quel que soit le coût politique à supporter, particulièrement en termes de perte d’échéances électorales. Le cycle des réformes économiques doit être déconnecté totalement de tout cycle politico-électoral. Cela exige aussi une équipe gouvernementale stable où l’on n’assiste pas à des remaniements ministériels assez fréquents, lesquels sont susceptibles d’affecter le rythme des réformes et leur efficacité.
En guise de conclusion, il faut impérativement renouer avec une croissance vigoureuse. Pour ce faire, il apparaît important et éminemment urgent d’accélérer la cadence des réformes économiques, résorber au plus vite les déséquilibres des finances publiques et surveiller de très près la valeur du dinar.