L’entrée en action de la police de l’environnement, créée spécialement pour sévir contre les dérives du comportement quasi-collectif en la matière, tarde à se concrétiser malgré les dates fixées et annoncées. Des causes multiples sont avancées. En attendant, les remarques et les critiques aussi vont bon train à ce sujet.
«Je ne sais comment les choses tourneront, mais il est sûr qu’une fois entrée dans la pratique quotidienne, elle deviendra un passage obligé pour le respect des règles de l’environnement. Mais ce serait excessif de croire que le problème sera pour autant résolu.» Par ces mots qui cachent mal un doute manifeste, Moez G., fonctionnaire de son état, la quarantaine, habitant du côté de Saida Manoubia, près du quartier de Bab Jedid, jette le doute sur l’efficacité escomptée de la police environnementale.
Et de renchérir : «Je doute fort qu’elle soit capable de s’imposer et donc de régler les problèmes pour lesquels elle a été créée. Les difficultés sont plus grandes que ce qu’on essaie de nous faire croire.» Et de citer à ce propos des exemples relatifs à l’état d’abandon dans lequel se trouvent de nombreux endroits de la ville, même en plein centre de Tunis. Des scènes, devenues avec le temps habituelles, des monticules de déchets, des amas d’ordures et des sacs en plastique éventrés font, désormais, partie du décor du Grand Tunis. Rares sont les endroits qui en sont épargnés, malgré l’effort manifeste des autorités municipales pour ramener les choses à une dimension acceptable. Mais il est clair que la saleté est devenue quasiment endémique qu’il est manifestement difficile de changer la donne et de préserver un niveau acceptable à ce propos.
Les raisons sont multiples. Elles sont d’ordre structurel et nécessitent donc une révision en profondeur qui dépend manifestement de la tenue en fin d’année des élections municipales. Il y en a d’autres en rapport avec la réalité syndicale et les mouvements successifs de contestations et d’appel à négociations à propos de revendications de la part des agents de la municipalité chargés essentiellement de la levée des ordures. Tout cela et plus même a fait que plus les jours passent, plus la réalité a tendance à prendre le dessus.
Situations délicates au potentiel conflictuel probable
La décision concrétisée sur le plan légal de créer un corps d’agents chargés exclusivement de superviser et de contrôler la situation en ce qui concerne le respect de toutes les dispositions municipales à ce propos, a été saluée par de nombreux observateurs comme étant une initiative intéressante, capable de faire office de force de dissuasion. Sa mise en application, par contre, a pris beaucoup trop de temps. Il a été décidé dès le début d’appliquer les nouvelles dispositions à titre d’essai, en se limitant à simuler la contrainte par le recours au subterfuge de «l’amende blanche», et ce, pour un mois. Mais à ce jour on attend encore l’entrée effective de la police environnementale en exercice. Des reports successifs ont été décidés et il semble que les choses, pour des raisons logistiques dit-on, vont encore traîner. La question qui, toutefois, ne cesse de s’imposer a trait au potentiel de réussite de cette police dans l’exercice de ses fonctions. En d’autres termes, pourra-t-elle concrétiser l’effet escompté et ramener l’ordre dans la cité? Au vu de la particularité de la tâche et du nombre incalculable des cas d’infraction, les réponses s’avèrent être bien délicates, pour ne pas dire difficiles.
La pyramide inversée
Dans un récent sondage réalisé par la fondation allemande Heinrich Böll, en partenariat avec le bureau d’études «One to One» pour les recherches et les sondages, plus de 80% des Tunisiens approuvent le principe de l’amende en cas de jets de déchets dans l’espace public et 60% des Tunisiens déclarent être fortement concernés par la question environnementale, bien que cela ne soit pas parmi les priorités pour eux, contrairement aux questions politiques et économiques.
Pour la mise à exécution des mesures dissuasives et contraignantes dont est chargée la police environnementale, les avis sont partagés avec une note de doute toutefois comme c’est le cas de Moez, cité ci-haut. Pour Abdellatif Ben Ahmed, un habitant de Bab Souika, le doute est permis: «Comment cette police va-t-elle agir au regard des cas multiples d’irrespect de la loi ? Va-t-elle dresser des PV à chaque coin de rue, devant chaque maison, à la porte des magasins, sur les places, tout le long des chaussées? C’est un cercle infernal.» Et d’ajouter: «Avant de mettre en place une police environnementale, il faut tout d’abord qu’il y ait des règles d’hygiène respectées par tous et que l’infrastructure des lieux et des quartiers reflète le comportement des gens. Ce n’est pas le cas chez nous. Il y a trop de laisser-aller, beaucoup trop. C’est à peine imaginable que la chose réussisse. Peut-être dans une rue témoin, mais partout non!»
«Nous sommes en pleine phase du copier-coller»
Salah Hajri, son ami, ajoute pour sa part: «Nous sommes à ce propos en plein dans le copier-coller. L’idée de la police environnementale a été importée de l’étranger, d’Europe particulièrement. On va vouloir l’appliquer sous nos cieux sans préparation minutieuse préalable. C’est le cas typique du parachutage de textes de loi, lequel est condamné à ne pas réussir car par essence contre nature. La loi intervient normalement en dernier recours quand la pratique et la réalité l’imposent. Procéder selon la logique de la pyramide inversée ne peut aboutir.»
Et la discussion de continuer sur fond de critiques, faisant valoir surtout le rapport jugé déséquilibré entre la réalité de notre environnement en ville, qui se caractérise par l’état et les comportements que l’on sait, et le type de marge de manœuvre octroyée à ce nouveau corps de police. De plus, des remarques ont été faites à propos des cas de chevauchement manifeste de prérogatives qui vont survenir avec la police municipale. Trop de questions sont restées en suspens et le sujet semble d’ores et déjà se perdre en discussions qui ne débouchent sur rien.
Toujours est-il que les zones d’ombre relevées soulignent l’extrême sensibilité d’un thème qui ne manquera pas d’être un des grands thèmes des prochaines municipales, particulièrement pour son enjeu électoral.