A quelques semaines du dépôt du projet de la Loi de Finances (LF) 2018, tous les spécialistes sont unanimes quant à la difficulté de boucler le financement des dépenses programmées. Ces dernières sont en fait intimement liées aux hypothèses retenues pour le taux de change, un casse-tête pour les techniciens.
Preuve à l’appui : les anticipations du ministère depuis quelques années ont été, tout simplement, à côté de la plaque. Pourtant, l’enjeu est important pour les grands équilibres budgétaires. Il suffit de rappeler qu’en 2016, la LF tablait sur des parités $/TND à 1,970 et €/TND à 2,200 alors que les taux se sont établis respectivement, à la fin de l’exercice, à 2,202 et 2,469. Idem pour 2017 avec comme hypothèse un $ à 2,250, bien inférieur aux niveaux de cours actuels.
En partie, cette situation est due aux faiblesses intrinsèques de l’économie tunisienne. La hausse vertigineuse des importations pour des produits de consommation n’a pas été compensée par des exportations additionnelles. Cela a certainement créé un différentiel qui a mis notre devise sous pression. La Banque Centrale, et comme le prévoit l’accord avec le FMI, a limité ses interventions sur le marché des changes, abandonnant le dinar à son sort.
Néanmoins, une grande partie des fluctuations du dinar est totalement incontrôlable par les autorités monétaires tunisiennes. Aujourd’hui, la parité €/$ frôle le 1,20 alors qu’elle a terminé l’année 2016 à 1,05. La majorité des estimations tablent sur la persistance de cette situation. Pour Bloomberg, la parité à six mois est de 1.17. La prestigieuse banque Crédit Suisse table plutôt sur 1.22. Même les économistes les plus chevronnés ne s’attendaient pas à une telle appréciation de la monnaie unique. Ainsi, ceux qui préparent le budget de l’Etat tunisien doivent tenir compte de ce qui se passe ailleurs pour mieux estimer la valeur du dinar.
Il y a d’abord les politiques monétaires de la Banque Centrale Européenne (BCE) et de la Réserve Fédérale américaine (Fed). Le programme de rachat des obligations, initié par la BCE en 2009, va probablement prendre fin en 2018, ce qui signifie une hausse mécanique de l’Euro. Pour le moment, la Banque cherche à doper l’inflation sans y parvenir réellement. Idem pour la Fed qui ne semble pas pressée à relever ses taux puisque la croissance économique reste modeste, mais une décision d’alléger son bilan dans la réunion des 19 et 20 septembre n’est pas à exclure.
En second lieu, la monnaie unique « souffre » de la bonne forme de la Zone Euro. En rythme annuel, le PIB a progressé de 2,2% durant les six premiers mois de l’année. L’Allemagne reste la locomotive de cette croissance avec un excédent courant de 6% du PIB. Donc on a deux modèles : une Zone Euro ayant comme leader une Allemagne excédentaire face à des Etats-Unis avec des déficits courant et budgétaire, et donc un pays qui vit largement au-dessus de ses moyens, à crédit autrement dit.
En troisième lieu, il y a l’effet Trump. Non seulement le Président américain est capable de tout sur la scène politique, mais il n’a rien concrétisé de son plan économique qui a poussé le billet vert vers le summum juste après son élection. Aujourd’hui, il constitue l’une des raisons de l’effondrement du billet vert.
Estimer la trajectoire qui sera suivie par le dinar reste donc une mission périlleuse. La baisse est certaine, mais jusqu’où cela peut-il aller ? Nous pensons que même si les techniciens du ministère peuvent le deviner, ils vont préférer ne pas l’afficher. Cela va mettre le dinar sous une grande pression semblable à celle de la crise du mois d’avril dernier d’une part, et va créer un trou budgétaire impossible à combler, d’autre part. Utiliser un taux de change »ajusté », même s’il n’est pas correct, fera l’affaire. In fine, la correction ne nécessite pas plus d’une LF complémentaire qui passe à la fin de l’année !