L’un des défis actuels de l’Etat tunisien est de réussir la mutation de son appareil diplomatique en général, et développer une diplomatie économique efficiente en particulier.
La 35e Conférence annuelle des chefs de délégations diplomatiques et consulaires (qui s’est tenue le 28 juillet dernier) a rappelé l’objectif stratégique de la conquête de nouveaux marchés à l’export. Il s’agit là d’un impératif financier au regard de l’état de la balance commerciale et des finances publiques. Mais au-delà du contexte particulier dans lequel s’inscrit la diplomatie tunisienne, cette fonction inhérente à tout Etat connaît une évolution structurelle dans le contexte de la mondialisation.
Si la politique étrangère d’un État est du ressort des responsables politiques juridiquement habilités par le droit constitutionnel national, ces derniers s’appuient sur un instrument traditionnel pour sa définition, mais aussi et surtout pour sa mise en œuvre : la diplomatie.
Les deux activités sont de plus en plus imbriquées comment le prouve la montée du soft power et de la « diplomatie d’influence » des États. De plus, un des phénomènes prégnants est la diversification de l’activité diplomatique. Le formidable essor de la « network diplomacy » (J. F. Metzl, 2001) et des « diplomaties sectorielles » aiguise la concurrence entre les nombreux acteurs publics (ministères, agences, etc.) et privés (multinationales, ONG, experts, médias…).
D’un côté, l’art diplomatique ne relève pas d’un monopole étatique : des organisations non étatiques (de natures diverses : sociétés multinationales, ONG, mouvements de libération nationale, groupes terroristes…) développent des relations (y compris avec des États) conformes aux canons de l’art diplomatique. Cet activisme de la société civile exprime des intérêts particuliers ou défend une conception propre de l’intérêt général. La question se pose du contrôle « régalien » des objectifs poursuivis par l’exercice d’une diplomatie partiellement « privatisée ».
De l’autre, au sein même de l’appareil d’État, la fonction diplomatique échappe au monopole de l’organe spécialisé. En France, le monopole du ministère des Affaires étrangères en matière diplomatique (proclamé en France par un décret du Directoire signé par Talleyrand) est battu en brèche. Il est entamé par le prisme présidentiel, mais aussi par l’interventionnisme (sectoriel) d’autres ministères, la « diplomatie parallèle » (incarnée par des émissaires mandatés plus ou moins formellement par le pouvoir exécutif), le développement de la « diplomatie parlementaire » et les initiatives des collectivités infra-étatiques.
En outre, les diplomaties spécialisées en matière économique et culturelle tendent à s’affranchir de la chancellerie politique traditionnelle afin de gagner en importance et en efficacité. Les domaines considérés comme « techniques » de la diplomatie sont de plus en plus gérés par des experts. Les échanges économiques façonnent une grande partie des relations internationales. Les activités économiques vont, elles aussi, être productrices de règles de droit (règles de libre-échange élaborées au niveau de l’OMC). Cette diplomatie économique adopte des formes juridiques ambivalentes aux frontières du public et du privé afin de s’adapter au monde économique tout en se détachant partiellement de la chancellerie politique traditionnelle. Elle est parfois qualifiée de « diplomatie publique » au sens où l’État tente de promouvoir son image, son action auprès d’acteurs de sociétés civiles d’États tiers.
Les diplomates ont de fait perdu le monopole de la fabrication de la politique étrangère, mais leur fonction évolue, s’adapte et s’inscrit dans des perspectives ouvertes par le développement d’une « diplomatie d’influence », dont la réalité fluctue selon les États. Cette soft diplomacy (J. Nye) est le plus souvent définie comme la capacité d’orienter le comportement d’un État par des moyens autres que contraignants.
Certes, dans les relations internationales, cette définition correspond au cœur du métier de diplomate, par opposition à l’action militaire. En réalité, ce type d’action est plus subtil, puisqu’il vise à obtenir un résultat sans passer par des négociations, en s’appuyant notamment sur des acteurs privés. La soft diplomacy est certes mise en œuvre via les canaux publics, avec l’entrisme dans les organisations internationales (notamment par le biais des secrétariats généraux et des administrations internationales), mais l’utilisation délibérée de vecteurs privés comme relais d’action ou d’expertise est également possible.
Si la globalisation amplifie la fonction diplomatico-stratégique de l’État et met en avant sa capacité à édicter normes et principes et à réguler de la sorte des secteurs de la vie internationale, l’État doit désormais composer avec des acteurs non-étatiques susceptibles de contester et de concurrencer sa puissance internationale…