Il aura suffit d’un mot, un seul, « Fainéants », pour mesurer l’ampleur des dégâts dans la rue. Ça polémique, en même temps que ça se complique pour le président français Emmanuel Macron qui veut réformer au pas de charge une France dont on dit qu’elle est irréformable. Propos sortis de leur contexte a-t-on soutenu à l’Elysée ; comme vous le voyez, il n’y a pas que chez nous où les propos des uns et des autres sont sortis de leur contexte.
Mais quittons si vous le voulez bien l’Hexagone pour aller de l’autre côté de la Méditerranée dans un pays où paraît-il, il fait bon vivre ; un ancien royaume qui a fait une révolution dont ses habitants attendent encore le meilleur, un peu comme ce laboureur qui sentant sa mort prochaine, fit venir ses enfants pour leur parler sans témoin et leur recommander de travailler et de prendre de la peine, parce que « c’est le fonds qui manque le moins… »
Quand on vous colle l’étiquette peu honorable de fainéant et de paresseux, cela remue forcément même si la tentation de jouer les prolongations est bien là, irrésistible à l’heure où les pouvoirs publics, comme ces vierges effarouchées, font mine de ne pas savoir et poussent le culot en appelant les Tunisiens à retourner au travail pour, conseillent-ils, suer et justifier leur pain.
Elles sont belles les leçons de morale surtout lorsqu’elles sont dispensées par ceux-là mêmes qui, à la première occasion venue, se précipitent pour fouler l’éthique aux pieds. Fainéants sans frontières, cela devrait vous rappeler certainement quelque chose…et si la fainéantise était fatalement inscrite dans nos gènes comme ne cessent de le répéter ceux qui n’ont qu’une chose en tête : s’auto-flageller avec un plaisir masochiste comme si les Tunisiens étaient dans leur ensemble l’incarnation parfaite de ce qu’on appelle, depuis que la révolution est passée par là et dans un langage du terroir, al lamoubalat ou si vous préférez le laisser-aller.
Allons-donc, dis-moi combien tu touches, je te dirai qui tu es. C’est tellement plus juste, plus en phase. Pour une poignée de dinars, nous avons les travailleurs que nous méritons. Et pour quelques dinars de plus, nous aurons les travailleurs dont nous rêvons. Quand ils sont convaincus, les Tunisiens ne rechignent pas à la tâche et n’hésitent pas à se retrousser les manches comme on dit ; encore faut-il les intéresser, les enthousiasmer, ce qui n’est guère évident en ces temps troubles où le noir l’emporte sur le blanc.
Alors, quand ça va très mal, on se réfugie dans l’auto-dérision et cela a des vertus thérapeutiques paraît-il ; la rédemption par l’humour même s’il est grinçant. Et puis, disons-le : dans nos murs, ça ne paie pas assez et donc forcément, cela se traduit par une réticence à tout donner pour se contenter du service minimum.
On ne peut que le déplorer bien sûr, mais que voulez-vous, tout a un prix et le travail bien fait ça coûte ; trêve donc de clichés, mais trêve aussi et surtout d’angélisme : tout se monnaye. Point à la ligne.
Avant la révolution, c’était le salaire de la peur, après c’est devenu le salaire de l’indolence, et pas besoin de chercher le principal responsable. Comme ses pompiers qui veulent éteindre l’incendie, et dans une tentative dont ils ne saisissent pas vraiment la portée, nos brillants experts ne cessent de nous chanter la même chanson, un peu à l’image de cette chanson de Roland en assurant que la faute est à cette maudite masse salariale qui gonfle, qui gonfle, jusqu’à se prendre pour un…quand il parle, le FMI ne fait pas dans la dentelle et ça fait boum, inévitablement.
Dans les situations critiques, et vous voyez où je veux en venir, on vous dit sur un ton menaçant : la bourse ou la vie, sauf qu’il n’y a presque plus de bourse et plus de digne vie. Et comme généralement, un malheur ne vient jamais seul, voilà qu’on veut s’attaquer au jour chômé du samedi œuvre d’un certain Hamadi Jebali, on lui doit bien ça, et à la séance unique de l’été honnie parmi les honnies, comme si ces deux régimes étaient l’incarnation du mal absolu, comme si, il était écrit que la culture, les loisirs, la joie des retrouvailles familiales n’étaient pas le propre des masses laborieuses qui sortent tôt le matin, pour ne rentrer qu’à la tombée de la nuit, exténuées par une attente interminable de moyens de transport qui n’arrêtent pas de tousser et qui n’arrivent jamais à l’heure.
Je le dis sans ambages, je suis indigné par ceux qui s’indignent et qui crient « Les Tunisiens, tous fainéants » ; en même temps, je dois bien admettre que de la part des salariés, dire à tous les employeurs en commençant par le premier d’entre-eux, j’ai nommé l’Etat, qu’ils en ont pour leur argent, qu’ils ont ce qu’ils méritent, et qu’ils ne devraient s’en prendre qu’à eux-mêmes, n’est pas ce qui se dit et ce qui se fait de mieux, même si les salaires pratiqués permettent à peine de sortir la tête de l’eau.
Que l’on vienne à tomber dans le jeu faussé des comparaisons avec ce qui se fait de mieux ailleurs où les conditions et les moyens sont autres, pour dire que le Tunisien est un fêtard invétéré et qu’il est le champion toutes catégories des vacances non-stop, je dis, de grâce, que l’on cesse toutes ces jérémiades infondées.
Ceux qui ont en charge les destinées de ce pays doivent apprendre à ne pas avoir peur d’augmenter les salaires des pauvres gens quand la nécessité se fait sentir ; et quand je dis pauvres gens, je parle de la majorité écrasante ; happée par la course folle des prix et au bord de l’asphyxie, cette dernière n’en peut plus et semble dire : Sœur Anne, ne vois-tu rien venir ?