Connue pour son militantisme de la cause féminine et les droits des femmes tunisiennes, Dalenda Larguèche, directrice générale du Centre de recherches, d’études, de documentation et d’information sur la femme (CREDIF), évoque son engagement mais aussi la nouvelle campagne de sensibilisation qui a pour nom “El matharech mayrkebech” ( le harceleur est banni des transports), qui sera lancée le 25 septembre dans les transports publics. Interview:
leconomistemaghrebin.com : 53% de femmes tunisiennes ont subi toutes sortes de violences dans les espaces publics, mais plus encore 96.17% des sondées estiment qu’elles ont été violentées physiquement dans les transports en commun. Une campagne de sensibilisation visant à lutter contre le phénomène sera lancée dès le 25 septembre 2017. Comment cela se passera-t-il ?
Dalenda Larguèche : La loi organique sur l’élimination de toutes les formes de violences faites aux femmes est une réalité. Aujourd’hui, il est temps de passer à l’action sur terrain. Cette campagne a pour objectif d’atteindre l’esprit des gens et de les faire réagir. D’ailleurs, nous avons déjà entamé la formation de 120 agents de la Garde nationale qui vont recevoir les victimes. La formation en question comprend l’accueil des victimes, la présentation de la loi et comment ils devront se comporter. Et je dois dire qu’ils étaient tous réceptifs. Même si l’étude a montré que seulement 2 % des victimes ont porté plainte. Un tel chiffre si faible pourrait s’expliquer soit parce que les victimes craignent l’entourage ou d’être stigmatisées, ou encore parce qu’ elles ne croient pas qu’on va les écouter.
Considérez-vous qu’avec le contexte actuel, le droit des femmes est acquis ou encore le combat est loin d’être terminé ?
Nous avons quand même réussi à renforcer nos acquis. Cela n’empêche que beaucoup reste à faire pour que la société s’approprie ces acquis. Cela n’empêche qu’il y a toujours des tentatives de retour en arrière, tel le cas de l’enseignante de Sfax, Faouzia Souissi, accusée d’être « mécréante » et humiliée par les parents, c’est scandaleux. Tout comme, il faut se rappeler aussi au moment de l’écriture de la Constitution en 2012, où le parti conservateur a tenté d’introduire la notion de complémentarité au lieu de parité entre l’homme et la femme. Cinq ans plus tard, ce même parti commence à adhérer petit à petit au camp démocrate. Cependant, il faut rester vigilant et poursuivre le grand projet visionnaire du leader Habib Bourguiba. Souvenons-nous sa phrase historique : « J’ai construit quelque chose de solide«
Sommes-nous, selon vous, sur la bonne voie?
La Tunisie est sur la bonne voie parce qu’il y a une volonté politique, notamment depuis le discours du président de la République à l’occasion du 13 août 2017. D’ailleurs, tout le monde nous observe avec fascination. Nous sommes restés une icône aussi bien dans le monde arabe qu’à l’échelle internationale. Et beaucoup de tabous ont été surmontés ( l’annulation de la circulaire 73). Toutefois, il y a des risques de régression dus à la crise économique. Et ce sont toujours les femmes qu’on stigmatise. Et nous devons être vigilantes car nous demeurons un pays fragile qui n’a pas beaucoup de ressources et tout repose sur nos ressources humaines ; notre savoir-faire, c’est notre capital.
Malgré ces avancées, force est de constater qu’il y a encore un discours de la haine contre la femme, qui essaie de la marginaliser sinon de la rabaisser, que faut-il faire pour contrer ce phénomène?
Le discours patriarcal qui marginalise les femmes est un discours inacceptable, d’un point de vue des droits de l’Homme. La démocratie naissante est un processus extrêmement lent. L’histoire m’a appris, en tant qu’historienne, que les mentalités rétrogrades sont têtues et tirent les sociétés qui tentent d’avancer vers l’arrière. Cela fait 20 ans que je milite pour les droits des femmes et la cause féminine. Je le fais pour mes filles pour la société et les générations futures.
Dans le monde politique, comment voyez-vous la participation des femmes?
Je l’ai toujours dit, les femmes sont toujours instrumentalisées car les hommes sont allergiques au pouvoir des femmes. Ce n’est pas évident, mais on va y arriver à force d’insister. Cette donne sera renversée. Et le Crédif a toute une stratégie dans ce sens qui sera annoncée au moment voulu.
Quelles sont les personnalités qui vous ont inspirée le plus et que vous considérez comme étant un véritable symbole de lutte pour les droits des Femmes?
Trois personnalités m’ont marquée : le leader Habib Bourguiba, Simone de Beauvoir et Simone Veil. A ce jour, elles m’inspirent encore.