Au lendemain de la Première Guerre mondiale, le traité de Sèvres avait charcuté arbitrairement la région du grand Moyen-Orient, et les grands perdants étaient les Kurdes. Un siècle plus tard, ils le sont toujours. Quelques tentatives éphémères de création d’Etats ont vite été avortés (un royaume kurde avait été créé au XIXe siècle et n’avait duré que quelques mois.)
En Irak, dans les années 1960-1970, une guérilla menée par Mustapha Barzani, le père de Massoud, pour imposer par les armes l’indépendance des Kurdes n’avait pas fait long feu. Barzani et ses peshmergas avaient tenu des années grâce à l’aide que leur procurait le régime du Chah d’Iran alors en très mauvais termes avec le régime irakien au sujet d’un tracé contesté des frontières. L’accord d’un règlement frontalier conclu à Alger en 1975 par le Chah et Saddam Hussein avait signé la fin de la guérilla kurde qui ne bénéficiait plus de l’aide iranienne.
Le PKK turc tente depuis plus de 30 ans de réaliser le rêve d’indépendance pour les Kurdes de Turquie en recourant à la violence. Rêve évanoui avec l’arrestation d’Abdallah Oçalan et l’écrasement de la guérilla kurde par l’armée turque qui, jusqu’à ce jour, bombarde régulièrement les partisans d’Oçalan repliés dans le Kurdistan irakien.
En Irak, ce que Mustapha Barzani n’avait pas pu réaliser par les armes, son fils Massoud a tenté de le réaliser le 25 septembre dernier à travers l’organisation d’un référendum. Les Kurdes étaient invités à se prononcer s’ils voulaient ou non créer leur propre Etat indépendant. La démarche était dés le départ vouée à l’échec pour une raison simple : le monde entier, avec la notable exception d’Israël, est contre l’indépendance du Kurdistan irakien.
Il est clair que quand il a décidé son référendum, Barzani n’avait pas imaginé un instant que son initiative rencontrerait une opposition aussi unanime dans le monde, y compris de la part de l’ONU et des Etats-Unis qui, depuis 1991, les aident et les protègent.
Les Kurdes ont voté à plus de 90% en faveur de leur indépendance, mais leur vœu restera pieux et leur rêve ne se réalisera pas ni dans le court ni dans le moyen terme parce que c’est un peuple malchanceux, et sa malchance risque malheureusement de durer encore longtemps.
La malchance des Kurdes est qu’ils sont une ethnie qui, selon les sources, compte entre 30 et 40 millions de personnes dispersées dans quatre Etats : Turquie, Irak, Iran et Syrie. Et aucun de ces Etats ne permet et ne permettra que son territoire soit amputé pour les beaux yeux des Kurdes. Pour chacun de ces Etats, toute tentative de sécession de sa composante kurde est une menace à l’intégrité territoriale du pays qui devrait être traitée par tous les moyens, y compris la force armée.
La tentative de sécession des Kurdes irakiens par la ruse du référendum a montré que non seulement les quatre Etats en question n’acceptent aucune atteinte à leur intégrité territoriale propre, ni à celle des voisins. On l’a vu avec l’opposition virulente turque au référendum des Kurdes irakiens et l’entente absolue entre les quatre puissances régionales d’empêcher toute remise en cause des frontières de Sykes-Picot.
Massoud Barzani soupçonnait évidemment des réactions hostiles à son initiative, mais il était loin de penser qu’une telle opposition soit aussi virulente et aussi unanime. Il a pu mesurer l’ampleur de l’opposition avant même le déroulement du référendum le 25 septembre, mais il était englué dans une impasse inextricable. Il ne pouvait pas faire marche arrière sous peine de se suicider politiquement. Et il n’a pas les moyens d’imposer à un environnement hostile et capable d’étouffer le Kurdistan irakien, les résultats très positifs de la consultation populaire. D’ailleurs, les pressions qui s’apparentent à des menaces d’étouffement commencent dès le vendredi 29 septembre à 18h00. En effet, c’est à cette date et à cette heure précise que les aéroports du Kurdistan irakien (Erbil et Sulaimanyeh) se voient désertés par les compagnies aériennes étrangères sur demande du pouvoir central de Bagdad. Sans parler de la fermeture de la frontière par Ankara, des manœuvres militaires communes turco-irakiennes et du vote par le parlement irakien de l’envoi des troupes à Kirkouk (ville revendiquée par les Kurdes) pour protéger les puits de pétrole…
Le référendum risque de se révéler un désastre politique pour Massoud Barzani qui se voit isolé sur la scène internationale, isolement dramatiquement mis en valeur et aggravé par le soutien de Netanyahu.
Les Kurdes ont une longue tradition de mauvais choix qui se retournent contre eux. Le point commun de ces choix est de compter sur des puissances étrangères et lointaines pour imposer des solutions refusées par les puissances régionales. A la fin, comme c’est le cas aujourd’hui, ils se retrouvent sans le moindre soutien des puissances étrangères, seuls face à des voisins puissants et extrêmement hostiles à leur projet d’indépendance. Malheureusement pour les Kurdes, leur droit à un Etat indépendant restera méconnu et leur rêve d’indépendance demeurera irréalisable pour longtemps encore.