Après la victoire massive du « oui » au référendum sur l’indépendance du Kurdistan irakien et la tension politique autour du référendum interdit organisé en Catalogne, le modèle de l’État-nation est confronté à ses limites face à la revendication d’identités (infra)nationales. Au-delà des nombreux échecs de l’importation du modèle de l’État-nation en Afrique, la problématique de l’hétérogénéité nationale et le réveil du principe de nationalité tendent à rattraper de vieux États-nations.
Dans l’Europe du XIXe siècle, le principe des nationalités (c’est-à-dire la revendication des peuples dotés d’une conscience nationale à se constituer en État) a motivé la création d’une série de nouveaux États. Au XXe siècle, ce mouvement est ponctué par la Conférence de paix de Paris. Alors que le principe des nationalités a été au cœur de la dislocation des empires multiethniques (exemple de l’Empire ottoman), il prend la forme tout au long du XXe siècle du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » face aux empires coloniaux européens (qui s’étendent en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie), invoqué par des mouvements de libération nationale qui se placent dans la lignée des déclarations d’indépendance des États-Unis en 1776, et de celles qui ont traversé l’Amérique latine au début du XIXᵉ siècle. Conséquence juridique du principe des nationalités, le droit à l’autodétermination consacré par la Charte des Nations unies a justifié la création des États nés à la suite des vagues successives de décolonisation. Utilisé comme fondement juridique du droit des peuples colonisés à l’indépendance, il a abouti à la multiplication des États nationaux. Or l’« autodétermination » des peuples/minorités, invoquée notamment au nom du « principe de nationalité », aboutit en règle générale à un « droit à l’État » signifiant un « droit à la sécession » contre un État existant.
Le spectre de déstabilisation de l’État justifie la réticence du droit international à l’application effective du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » – au nom de la souveraineté de l’État –, et ce, malgré l’affirmation de l’article 1er, alinéa 2 de la Charte des Nations unies, organisation dont l’un des buts est de « développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes ». Ainsi, des nations sans État continuent à exister au XXIe siècle.
Si le principe des nationalités fonde le « droit à l’État », le lien entre État et nation qu’elle sous-tend ne correspond pas à une réalité universelle. Il existe une alternative théorique et empirique au modèle de l’État-nation : l’État multinational. Né historiquement dans le cadre d’empires (austro-hongrois, ottoman, etc.), l’État multinational (exemples du Canada, de la Suisse, de la Belgique ou encore de la Bosnie-Herzégovine) correspond à une société politique qui réunit plusieurs nations partageant le sentiment d’avoir un destin commun. Contrairement à l’État-nation, il « n’a pas pour projet de construire en fait et en droit une collectivité unifiée et homogène de citoyens égaux et indifférenciés, mais d’assurer la coexistence d’une pluralité de peuples » grâce à la gestion commune des affaires publiques et la gestion propre des affaires nationales (Pierré-Caps, 2014, p. 374).
Le rapport de justification entre la nation et l’État qui est censé la représenter s’en trouve potentiellement distendu, donnant naissance à des concepts oxymoriques comme celui de « minorités nationales ». Celles-ci sont incluses au sein de l’État. Non seulement le droit interne tend à reconnaître à ces « nations minoritaires » une autonomie territoriale ou personnelle pour mieux canaliser toute velléité indépendantiste/sécessionniste, mais le droit de l’ordre juridique international protège leurs droits (culturels, linguistiques, politiques…). Dans certains pays, la « réactivation » du fait tribal menace l’unité nationale. La tribu représente à la fois un phénomène prémoderne, si l’on conçoit que la tribu est une forme d’organisation antérieure à l’instauration de l’État-nation, et post-moderne, si l’on conçoit que la dimension transnationale et réticulaire du fait tribal s’articule parfaitement avec la mondialisation de l’information et le progrès technique.
Toutefois, en pratique, la réalisation de l’État « plurinational » s’avère délicate, car elle risque d’exacerber des revendications identitaires conflictuelles, menant à la sécession et à la formation de nouveaux États-nations indépendants. Sans en arriver à ce cas extrême, la question identitaire n’est pas sans effet sur l’organisation ou l’agencement territorial de l’État ; celui-ci a tendance à la fois « à exprimer et contenir les aspirations identitaires infra-nationales : autonomie politique régionale (Italie, Espagne), reconnaissance des droits des minorités nationales (Europe centrale et orientale et Afrique), fédéralisme asymétrique (Royaume-Uni, Belgique) »…
Béligh Nabli, L’Etat. Droit et politique, Armand Colin, Coll. U, 2017.
Et que dites-vous de « l’état » Tunisien qui n’a pas convaincu depuis le temps Bourguiba jusqu’à la veille de la révolution, le Tunisien de l’intérêt équitable pour tous malgré les richesses différenciées desquelles ils profitent de maintes régions.Et ils continuent à investir seulement dans des régions -les mêmes depuis plus de 60 ans. Le droit à la séparation est légal pas dans le cas catalan ou kurde, chez nous, tu ne sens pas que tu es tunisien tant que tu ne profites pas amplement de tes richesses dans ta région. Ta région qui était d’une grande ampleur dans le temps romain et après, pendant la colonisation.
As-tu le sens de la sagesse de sentir cette amertume qui se déclenchera un jour sur cette terre de la même manière que chez les Irakiens et les Espagnols…quand ça sera trop tard.