La condamnation du jeune Franco-algérien de 4 mois de prison et 3 mois de prison pour sa copine a suscité un grand tollé et de l’indignation de la société civile, mais aussi de quelques politiciens. De ce fait une pétition a été lancée pour condamner ce verdict ahurissant.
Bien que la Tunisie se distingue par ses avancées concernant les droits de la femme ( tout récemment l’annulation de la circulaire qui interdit à la Tunisienne d’épouser un étranger), certaines lois anachroniques du Code pénal n’ont pas encore été révisées. Jinan Limam, enseignante universitaire à la Faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis nous a dressé un état des lieux du système juridique et du Code pénal. Interview:
leconomistemaghrebin.com : les menaces pèsent encore sur les libertés individuelles, que faut-il faire selon vous?
Jinan Limam : Cette affaire n’est pas malheureusement un cas isolé et les chefs d’inculpation dans le cas d’espèce ont ouvert la voie à l’acharnement policier et judiciaire contre les libertés individuelles. Il s’agit tout d’abord du registre obsolète de l’outrage à la moralité publique puisé dans la section III du code pénal relative aux « Attentat aux moeurs », notamment l’outrage à la morale publique ( art.226 et 226 bis).
Ensuite, le deuxième chef d’inculpation est l’« outrage à un fonctionnaire public dans l’exercice de ses fonctions », lequel prévoit une peine de prison pouvant aller jusqu’à un an, en vertu de l’article 125 du Code pénal. L’application abusive de cette disposition empêche les individus d’exercer leur droit de recours lorsqu’ils estiment avoir été maltraités par la police. Ce chef d’inculpation a été souvent utilisé par la police pour intimider les citoyens qui osent dénoncer le comportement des policiers. Dans le cas d’espèce, le juge a donné une suite rapide à la plainte déposée par les policiers et s’est exclusivement basé sur les déclarations des agents de la police, comme c’est souvent le cas dans des affaires similaires.
En l’absence dans le code pénal d’une définition de ce qui constitue un « outrage », cela donne aux autorités une latitude considérable pour son interprétation et pour criminaliser les libertés individuelles, dont celles liées au corps, à la conscience et à l’expression. De plus, les sanctions prévues dans les articles précités sont privatives de liberté, ce qui est en contradiction avec le principe constitutionnel de proportionnalité entre le présumé « délité et la peine infligée. De ce fait, cela est susceptible de vider les libertés individuelles de leur substance.
Quelles sont les solutions à une refonte du Code pénal?
Il est donc primordial de procéder à une véritable refonte du Code pénal en raison des divers dangers qu’il fait peser sur les droits humains. Le Code pénal datant de 1913, maintes fois retouché au gré des circonstances, a évolué sans vue d’ensemble et demeure largement conservateur et archaïque parce qu’il renferme une vision coercitive, visant plus à verrouiller la liberté d’expression qu’à réinsérer l’individu. Il est par conséquent anachronique avec les dynamiques sociales, politiques et juridiques de changement basées sur l’importance des droits de l’Homme et l’affirmation de l’individu.
La Constitution de 2014 garantit explicitement les libertés et les droits individuels dans l’article 21 et conformément à l’article 24, l’État s’engage à protéger la vie privée et la liberté de tout citoyen. L’article 49 autorise d’apporter des restrictions aux droits et libertés constitutionnels mais il dresse une série de conditions cumulatives afin de garantir ces droits. C’est la loi exclusivement qui fixe ces restrictions mais sans porter atteinte à la substance des droits et libertés et à leur exercice.
Quel est l’impact de ces restrictions?
Ces restrictions ne peuvent en outre être établies que pour répondre aux exigences d’un État démocratique, et en vue de sauvegarder les droits d’autrui ou les impératifs de la sûreté publique, de la défense nationale, de la santé publique ou de la moralité publique tout en respectant la proportionnalité entre ces restrictions et leurs justifications. Il incombe aux instances juridictionnelles d’assurer la protection des droits et libertés contre toute atteinte.
Il convient de rappeler que le Code de procédure pénale a été révisé en 2016 pour qu’il soit conforme à la Constitution, notamment en insérant la nécessité de garantir les droits des justiciables à la défense, et ce, en permettant notamment aux personnes gardées à vue de pouvoir contacter et assurer la présence d’un avocat immédiatement après l’arrestation ainsi qu’avant et pendant l’interrogatoire, chose que la police avait refusé dans le cas du couple arrêté à Gammarth la semaine dernière”.
Face à une rue parfois intolérante, ne voyez-vous pas que la tradition freine la démocratie?
S’agissant des libertés individuelles, les résistances sont importantes compte tenu du conservatisme social ambiant sur lequel s’est greffée une religiosité exacerbée. Il faut mettre fin à l’ingérence de l’État dans la vie privée des citoyens et dans leurs libertés individuelles qu’elles soient liées à la conscience, à l’expression ou au corps. Notre législateur, nos juges et nos policiers doivent tous prendre en compte les droits humains universels tels que reconnus et consacrés dans leur intangibilité, leur totalité et leur indivisibilité par les traités universels ratifiés par la Tunisie, les principes jurisprudentiels du droit international des droits humains et les standards établis par notre Constitution de 2014. Il ne s’agit pas seulement de réviser les lois mais il faut revoir les méthodes et le contenu des formations destinées aux magistrats et aux agents qui appliquent la loi.
Enfin, la promotion d’une culture des droits humains – notamment des droits et libertés individuels – respectueuse du droit à la différence est aussi la responsabilité de ces institutions clés : la famille, l’école et les médias… Les mentalités changent et le progrès est inéluctable même si cela prendra quelque temps.