Le symbole est fort : la première puissance mondiale a décidé de se retirer de l’UNESCO, organisation qui a vocation à promouvoir la culture dans le monde. Les motifs officiels sont connus : la Maison blanche estime que cette organisation rattachée à l’ONU est mal gérée et trop critique à l’égard de l’Etat israélien. Au-delà, cet événement marque la crise de ce type d’instrument de la coopération multilatérale. N’est-ce pas le modèle des organisations intergouvernementales qui doit être interrogé aujourd’hui ?
Les États sont aussi à l’origine du développement de l’institutionnalisation de la coopération inter-étatique à travers la création d’organisations internationales. Avec les révolutions industrielles et l’essor du commerce international, les États sont confrontés à des problèmes qui dépassent leur cadre territorial et leur capacité d’action. L’institutionnalisation de la coopération inter-étatique devient une nécessité fonctionnelle.
Nées à partir du XIXᵉ siècle d’antécédents modestes (avec des organisations ayant des missions d’ordre technique comme la « Commission fluviale » ou les « Unions administratives ») essentiellement dans le domaine des communications, les organisations internationales ont connu depuis la fin de la Première puis surtout de la Seconde Guerre mondiale un développement spectaculaire et multiforme.
Les enjeux politiques et économiques de l’après-guerre ont renforcé la nécessité pour les États de développer des formes de concertation institutionnelle, de donner à leur coopération un caractère permanent et une dimension organique. Longtemps limités à l’uniformisation des normes ou à la coopération sectorielle bilatérale, ces efforts ont pris une nouvelle dimension multilatérale et multifonctionnelle.
A certains égards leur succès témoigne de l’insuffisance des États, de la difficulté qu’ils ont à remplir directement certaines missions. Il n’empêche, les organisations internationales, y compris l’Union européenne, échouent à assumer les fonctions et missions traditionnelles de l’État. Qu’elles soient générales ou régionales, elles n’ont pas été globalement en mesure de s’affirmer comme concurrentes de l’État (J.-P. Cot). Même dans le cas d’une organisation d’intégration comme l’Union européenne, elles n’ont pas su ou pas pu offrir un espace de légitimité, de solidarité et d’efficacité.
L’organisation internationale n’a pas menacé à ce jour le cadre de l’État et en particulier son monopole de l’exercice de la force. De plus, si ces organisations internationales se multiplient et jouissent d’une personnalité juridique propre, elles n’en demeurent pas moins des entités créées par les États en vue de répondre à leurs besoins de coopération. Leurs États membres participent même à leur fonctionnement et prise de décision.
Le modèle de l’organisation inter-étatique classique est questionné dans un contexte de mondialisation caractérisé par une logique d’interaction et d’interdépendance et rythmé par un temps qui n’est pas celui de la diplomatie et de la négociation intergouvernementale. Face aux mouvements et acteurs transnationaux qui tendent à échapper à son autorité et à son contrôle, les États prolongent les instruments classiques de coopération inter-étatique par de nouveaux modes de régulation globale.
Le besoin de régulation mondiale et le développement de cadres non gouvernementaux de gouvernance mondiale liés à la nécessité de mener des actions collectives coordonnées répond à des phénomènes qui ignorent les frontières territoriales du pouvoir national-étatique. Cette réponse prend traditionnellement le nom de « gouvernance mondiale », néologisme qui renvoie à un ensemble de principes, de pratiques et d’institutions communes qui concourent à la définition de normes, orientations et actions qui s’imposent aux États et/ou aux acteurs privés.
La réponse internationale à la crise financière illustre l’émergence d’un modèle de gouvernance mondiale basée sur l’articulation de plusieurs acteurs étatiques et internationaux en étapes successives d’incitation mutuelle. Ainsi, dans le sillon des G6, G7 et G8, le G20 offre un nouveau cadre de concertation internationale caractérisé par l’insertion des grands pays émergents.
La réunion de puissances occidentales et de puissances émergentes – ce qui permet au G20 de représenter environ 90% du PIB mondial, alors que les économies du G8 en réunissaient moins de 60% – renforce la légitimité de ce nouvel instrument de la gouvernance mondiale, même si leurs intérêts restent le plus souvent contradictoires. Du reste, il ne s’agit pas d’un gouvernement mondial qui s’exprimerait dans la volonté hégémonique d’une grande puissance, dynamique qui ferait appel à la force. C’est pourquoi les sommets qui traitent les nouveaux objets de gouvernance donnent lieu à des engagements individuels de la part des États. Ces derniers s’engagent au nom de leur économie, de leur population ou de leur société, et leurs plénipotentiaires doivent faire appliquer ces contraintes au niveau national.
Ce système de gouvernance mondiale prend des initiatives, aussi bien dans le domaine de l’environnement, de la finance, que de la lutte contre la pandémie grippale ou le terrorisme. Ces initiatives partent de l’établissement d’un diagnostic commun, éventuellement confié à des experts (FMI pour la finance, OMS pour la grippe, GIEC pour le climat). Elles passent par une série de sommets des gouvernements, ministres et chefs d’État, avec en amont des groupes de travail, un suivi en aval, puis de nouveaux sommets épisodiques pour permettre le suivi politique du programme d’action. Leur administration est encore légère, elles ne disposent pas de secrétariat permanent. Elles traitent d’un problème spécifique, d’un enjeu global et affectant de la même manière l’ensemble des États ; elles visent à apporter une réponse à une question urgente sous la pression de l’opinion, et ont donc globalement un mandat assez clair.
Toutes ces initiatives ont enfin en commun de procéder à une certaine politisation de questions techniques, grâce au rôle joué par les ONG dans la vulgarisation du débat et la constitution progressive d’une opinion internationale. N’est-ce pas l’avenir du multilatéralisme ?