Néjib Chahed, vice-président de la commission des affaires économiques et fiscales à l’UTICA, a livré des éclaircissements sur le mécontentement de la centrale patronale et a présenté une série de solutions. Interview.
Leconomistemaghrebin.com : L’UTICA regrette que le PLF 2018 n’ait pas pris en considération ses propositions et menace de se retirer de l’Accord de Carthage si ce projet ne sera pas amendé. Qu’en pensez-vous?
Néjib Chahed : Nous avons annoncé notre mécontentement du PLF 2018, un mécontentement qui reflète une exaspération qui revient de très loin. Ce n’est pas une exaspération orientée contre le gouvernement, mais contre le comportement des politiques, tous partis confondus, et Mme Bouchamaoui n’a été que l’interprète de cette exaspération.
Les différents gouvernements qui se sont succédé se sont comportés avec l’UTICA de la même manière. Pourtant, nous sommes partie prenante dans l’Accord de Carthage. Et si c’est réellement le cas, il faut que nous soyons consultés sur les grandes décisions et orientations.
Revenant sur le terme de » menace », je peux vous dire qu’il y a réellement de nombreuses menaces qui planent sur la Tunisie que nous percevons depuis 7 ans et nous n’arrêtons pas d’élaborer des documents tous les ans et à chaque occasion pour dire que ce n’est pas la bonne orientation ni la bonne direction pour sortir de la crise.
Aujourd’hui, ce cri du cœur est sorti parce qu’on s’est dit qu’on nous entend mais on ne nous écoute pas et nos alternatives et propositions approfondies ne sont pas prises en compte et que ce n’est pas suffisant de consulter l’UTICA sur des décisions secondaires.
Citant à titre d’exemple la proposition de baisse de l’IS, il déclare : « Depuis un certain nombre d’années, on nous a promis de baisser cet impôt. En 2015, effectivement une baisse a été enregistrée mais qui a été vite démentie par une nouvelle hausse en 2016. »
On nous a promis également, poursuit-il, de bloquer le déficit budgétaire mais à ce jour la stabilisation ne s’est pas concrétisée. Idem pour la proposition de baisse de la pression fiscale alors qu’on ne voit que des augmentations, passant de 20,6 à 22%. La question qui se pose aujourd’hui est : où allons-nous? Sachant que la Tunisie détient des records en termes de pression fiscale sur les entreprises, comme a été mentionné dans le rapport de Doing Busines et celui de l’OCDE démontrant que la pression fiscale de la Tunisie est la plus élevée parmi 16 pays africains.
Face à cette situation, nous, les chefs d’entreprise avons voulu nous exprimer pour dire qu’il faut tenir compte de notre avis et nous écouter et de ne pas prendre les décisions seuls avec d’autres contraintes certainement. Il faut aussi reconnaître que nous relevons les défis de la mission d’assurer l’emploi et de faire sortir un peu le pays de sa crise.
Actuellement, nous avons entamé des consultations avec les partis signataires de l’Accord de Carthage pour tirer la sonnette d’alarme encore une fois en disant attention nous n’allons pas dans la bonne direction et nous sommes en train de nous enfoncer dans une crise qui va probablement provoquer une nouvelle explosion sociale au bout du compte.
Il paraît que le problème existe au niveau de l’UGTT?
Nous n’avons pas de problème réel avec l’UGTT ou quiconque. Nous sommes une partie titulaire de l’Accord de Carthage et nous ne sommes pas sur le banc des remplaçants. Alors, nous avons un choix d’orientation de politique économique ainsi que des propositions que nous souhaitons mettre en œuvre. Mais nous observons qu’il y a des forces conservatrices dans ce pays, dont la principale est l’UGTT.
Malheureusement, dans cette ligne politique, on s’est arrêté à 1960 où il y avait une protection pour l’entreprise du fait de barrières douanières et autres. Et donc, on avait cherché à protéger aussi le salarié parce que c’est une évidence. Sauf que maintenant nous sommes face à une mondialisation et les choses ont changé et évolué.
Aujourd’hui, l’investisseur qui envisage d’investir en Tunisie a aussi le choix d’aller dans d’autres pays, tels que la Roumanie, le Maroc, l’Ile Maurice… Donc l’entreprise n’est plus protégée comme elle était auparavant parce qu’en 24h, l’investisseur peut plier bagages et aller ailleurs.
De la même manière, le salarié doit être protégé, mais il y a de nouvelles formes de protection à mettre en place. Ce n’est plus la protection de type autoritaire et administratif. Il y a plutôt une possibilité d’ouvrir des négociations, d’améliorer la mobilité, la formation…des possibilités qui n’ont pas été prises en considération en Tunisie.
Parallèlement, d’autres orientations ont été exigées comme des augmentations de salaire sans contre- partie et surtout sans création de richesse. Cette orientation n’est qu’une attitude non responsable qui a mené à une dérive vers la société de consommation par excès. Sachant que la subvention de la consommation a résulté en une crise en termes d’endettement…
Y a-t-il des alternatives?
Effectivement, nous avons proposé une orientation politique et économique tout à fait différente à celle d’hier et d’aujourd’hui. Si nos objectifs sont de rendre l’entreprise tunisienne la plus compétitive possible et le site Tunisie par la même occasion, nous n’avons pas besoin d’aller à l’international pour être confrontés aux entreprises étrangères que nous confrontons déjà en Tunisie. Il faut que nous soyons armés pour affronter le choix d’aller dans la mondialisation qui a tous les atouts de profiter au bon moment et au bon endroit.
Pour ce faire, il faut se convaincre que toutes les mesures qui vont contrevenir à l’amélioration de la compétitivité de l’entreprise sont néfastes, Par exemple, si on veut exporter, nous sommes capables de le faire mais à condition d’exonérer l’acte d’exportation et non pas la société qui exporte, et pareillement pour l’investissement.
Il faut tirer, dans ce sens, l’expérience des autres pays qui sont en train de rapatrier un certains nombre de leur entreprise, parce qu’ils ont fait le travail de dégraissage nécessaire qui diminue malheureusement la compétitivité des entreprises tunisiennes. En Tunisie, nous sommes restés figés avec le droit du travail, le marché du travail, le marché des services financiers…alors que les autres pays ont fait face aux contraintes.
Pour alléger ce gap, il faut améliorer la compétitivité, encourager les investissements et non pas la consommation parce que la distribution de richesses non créées qui profite aux entreprises étrangères n’est pas une solution.
Il y a lieu donc de prendre garde à cette politique pour que nos entreprises puissent être en mesure de lutter à armes égales avec les entreprises étrangères. Il faut, ainsi, défiscaliser l’exportation et stabiliser les règles fiscales et juridiques.
Voilà, il y a toujours des alternatives mais la situation actuelle de la Tunisie me rappelle la formule de François Mitterrand qui a dit en 1993: «Dans la lutte contre le chômage, on a tout essayé», au moment où malheureusement on n’a pas tout essayé. Il est temps donc de commencer par limiter les dépenses et l’endettement avant de nous imposer, en tant qu’entreprises, de nouveaux impôts. Sachant que le taux d’endettement est passé de 66,2% en 2016 à 69 % en 2017.
Il est temps, aussi, d’éviter les décisions unilatérales et évaluer en concertation avec les professionnels tout en prenant compte de l’intérêt de l’opérateur économique.
Que propose l’UTICA?
Nous ne cessons pas de présenter des propositions que nous sommes convaincus qu’elles sont fiables, mais qui n’ont pas été prises en considération à maintes reprises. Il s’agit de:
- Renouer la confiance avec le monde de l’entreprise que beaucoup de gens ignorent à tort ;
- Dire un discours de vérité, avec des chiffres et leur impact réel justifiant une prise de position ferme ;
- Fixer une trajectoire crédible, la défendre et la tenir et éviter de tracer tous les ans une orientation différente;
- Reconnaître le rôle des entreprises qu’on n’arrête pas de dénigrer, ces formidables entreprises qui nous ont permis de rester debout dans ce pays ;
- Stabilité fiscale et juridique: Il est essentiel de fixer des règles intangibles pour 5 ans pour que les gens sachent quelles sont les perspectives que nous avons;
- Respecter la loi pour tout le monde exigeant une transparence de la vie publique qui soit fiable;
- Reengineering de la politique économique, c’est-à-dire qu’on doit revoir les choses et aller vers une configuration où nous devons avoir une politique d’offre compétitive pour permettre à nos entreprises d’ être compétitives.
Pour conclure, si on n’arrête pas d’augmenter nos dépenses de consommation et nos dépenses tout court, il arrivera un moment où nous nous retrouverons plongés dans un puits très profond. Il faut partager les sacrifices pour alléger ce fardeau tout en passant par une direction d’ensemble. Nous, en tant qu’entreprise, nous savons ce qu’on veut et on a dit et redit cela mais les politiques sont autistes.