S’agissant des préoccupations autour du PLF 2018, mais aussi de sa cohérence, un bon nombre d’ experts estiment que ce projet de loi ne répond pas aux attentes souhaitées. Mohsen Hassen, dirigeant du parti Nidaa Tounes et ancien ministre du Commerce, nous livre son analyse. Pour lui, en substance, il s’agit d’un exercice de haute voltige.Interview :
-Quel est l’état des lieux en termes de finances publiques?
Je pense qu’il est temps d’évaluer le coût de la révolution. Il est temps de dresser un bilan des six dernières années. D’ailleurs, je peux dire que le bilan est négatif selon une étude récente faite par des économistes. La situation économique est alarmante. Tout comme il est grand temps pour dire aux Tunisiens d’unir nos forces pour sortir de cette crise.
Aujourd’hui, les dépenses de l’Etat tunisien sont passées de 17.9 milliards de dinars ( 2010) à 29.3 milliards de dinars ( 2016), soit une augmentation de 64% sur 6 ans. Il en va de même des salaires des fonctionnaires publics qui ont réalisé une hausse vertigineuse, de 6.8 milliards de dinars ( 2010) à 13.2 milliards de dinars en 2016 soit une évolution de presque 100%. Le constat est évident: nous vivons au-dessus de nos moyens. En revanche, le projet de développement et d’investissement n’a progressé que de 26% durant la même période. L’écart est énorme.
Comment expliquer cet écart?
Nous ne créons pas de la richesse, nous sommes en train de nous appauvrir. Ces données, signifient le mauvais choix politique adopté les 6 dernières années.
De plus, notre manque à gagner sur les recettes non fiscales est quantifié à plus de 5 milliards de dinars. Cela concerne entre autres les revenus des participations publiques, les redevances prélevées sur le transit du gaz algérien. Prenant l’exemple du secteur touristique et énergétique, le manque à gagner est estimé à plus de 13 milliards de dinars. Au total, le manque à gagner a atteint 60 milliards de dinars durant les dix dernières années. Cela confirme que les politiques économiques adoptées ont engendré l’appauvrissement de la Tunisie.
Parlons de croissance, quel diagnostic?
Concernant la croissance du PIB (2011-2016), elle est en moyenne de 1.7% contre une croissance moyenne de 4.2% ( 2001-2010). Les raisons de cette absence de croissance durant ces six dernières années sont bien connues : situation sécuritaire fragile, mouvements sociaux sans fin, retard dans la mise en place des réformes économiques qui s’imposent et absence de visibilité politique. Tous ces facteurs négatifs ont provoqué la baisse de l’investissement étranger de 40% ( 2008-2016) qui représente 2.3% du PIB.
L’environnement des affaires, lui aussi s’est détérioré. Quand on compare l’indice de performance logistique la Tunisie a perdu 39 places ( 110 ème place ( 2016) alors qu’elle était à la 61 ème place en 2010). Les faits sont bien là: une dégradation totale de l’environnement des affaires. Ce qui explique, en l’occurrence, un retard au niveau de la création de la richesse ainsi que de la croissance réalisée. Il en est de même du déficit commercial qui a augmenté en passant de 12.6 milliards de dinars ( 2016 ) à 13.6 milliards ( 2017). Cependant, la solution dans une période de crise est la mise en place des mesures de sauvegarde. D’ailleurs, j’ajouterais également que le déficit budgétaire ( 2016) a atteint 5.5 milliards de dinars soit 6.1% du PIB, et qu’en 2010, le déficit budgétaire était uniquement de 550 mille dinars soit 1% du PIB.
A qui profite ce chaos?
Aux ennemis de la Tunisie. Aujourd’hui, tout le monde doit se rendre compte qu’il faut faire des sacrifices.
Le PLF 2018, tout le monde en parle, Mongi Rahoui a même prédit une explosion sociale si ce PLF 2018 voit le jour tel quel. Etes-vous d’accord ?
Certains partis politiques ont tendance à dramatiser la situation pour leurs intérêts propres. Je suis d’avis que le gouvernement est en train de déployer tous ses efforts pour trouver des solutions. Cela dit, il y a un déficit de communication à tous les niveaux. Le gouvernement doit surtout faire un effort pour préserver le pouvoir d’achat des Tunisiens. Dans ces conditions, ce n’est un secret pour personne que l’année 2018 sera une année difficile.
Que pensez-vous des accords de libre-échange, ?
L’Organisation Mondiale du Commerce est très stricte en matière de réglementation internationale, il y a des clauses de sauvegarde. Aujourd’hui, les accords de l’OMC nous permettent d’augmenter les droits de douane des produits importés surtout les produits de consommation jusqu’au taux plafonné par l’OMC. Pour chaque produit, il y a un taux maximum de droit de douane. Et la Tunisie a une marge de manœuvre très importante à ce niveau. Pourquoi ne pas saisir cette opportunité et appliquer cette mesure ? Avec la Chine, nous pouvons augmenter les droits de douane. Tout comme il serait intéressant d’opter pour une stratégie de partenariat et inciter les Chinois à investir. Autrement dit, nous devons être pragmatiques quand il s’agit de nos intérêts. Pour le cas de la Turquie, nous avons un accord de libre- échange qui remonte à 2005. Je pense qu’il est temps de le réviser pour mieux protéger notre tissu économique.
En résumé, nous devons revoir notre accord de partenariat pour mieux protéger nos secteurs comme le textile, l’agro-alimentaire et en même temps travailler avec les Turcs pour un partenariat gagnant-gagnant. D’ailleurs, je salue la décision du gouverneur de la Banque centrale de réduire l’importation d’un certain nombre de produits en prenant des mesures d’ordre financier. Je trouve que c’est une décision courageuse.
Croyez-vous que l’on se dirige vers une politique d’austérité?
Non, on est loin de la politique d’austérité. Car le budget 2018 est pratiquement le même que celui pour 2017. C’est un excellent signe.
Pensez-vous que le PPP a des chances de se réaliser ?
Aujourd’hui, nous avons un cadre juridique pour développer un partenariat public-privé. Il aurait suffi que les projets programmés dans le cadre de PPP soient réalisés mais l’Etat n’a plus les moyens de les financer. Il faut réfléchir à l’investissement, il faut que le plan de relance soit axé sur l’investissement et l’exportation.
Le mot de la fin…
Je crains les pressions inflationnistes, mais je reste optimiste car ensemble, nous nous en sortirons à condition de prendre les bonnes décisions. Tout comme j’insiste sur la priorité d’assurer la bonne gouvernance au niveau du système des compensations, tout en préservant le pouvoir d’achat. Il est temps d’agir ensemble, l’Etat seul n’y arrive pas. En somme, un seul mot d’ordre: le sacrifice de la part de tous.
A qui profite la caisse de compensation?Si on a l’intention de retrouver un peu de ce pouvoir d’achat duquel vous parlez, le gouvernement doit avoir le peu d’audace qui lui permettra de réagir.Vous parlez de ce pouvoir où le vieux malheureux de n’importe quelle région de la Tunisie qui est sans couverture sociale paie lui-même le carburant des grosses cylindrés des gens huppés, le sucre aux pâtissiers qui vendent les gâteaux à 3D la pièce, aussi la farine pour des pizzas à plus de 10D et encore de l’huile aux restaurateurs qui gagnent sur le dos du même malheureux.
Pourquoi ne pas vendre au prix réel et donner la différence à ces nécessiteux qui ne consomment ni carburant ni de grandes quantités dans les autres denrées.
La majorité des gens du privé ne payent pas d’impôts, on ne peut pas faire de social sans argent.