Dans le cadre d’un débat organisé, hier, par l’UTICA, sur le projet de loi de finances – PLF 2018, en présence de la présidente de la centrale patronale, Ouided Bouchamaoui, Taoufik Laribi, président de la commission fiscale a estimé que la colère de l’UTICA est cette fois-ci double parce que, d’une part, ses propositions n’ont pas été prises en compte dans ce PLF et, d’autre part, les entreprises se trouvent soumises à trop d’impôts et de taxes.
Dans ce sens, il a affirmé que le rythme de promulgation des dispositions fiscales a été fortement accéléré, ces dernières années, comptant actuellement plus de 500 dispositions fiscales, bien que le code de la fiscalité ne contienne que 68 articles.
Il a, en outre, précisé qu’il existe un problème de transparence vis-à-vis de l’administration fiscale, s’interrogeant sur les garanties qui existent au profit des entreprises face à l’abus des procédures et de certains agents du contrôle fiscal. Ces derniers disposent, selon ses propos, de prérogatives très larges dans le contrôle, la saisie, l’investigation et autres, et ce, sans aucune garantie de protection des entreprises organisées.
«Il est clair qu’il y a certaines entreprises qui ne payent pas leurs impôts; mais il existe aussi une injustice fiscale envers d’autres entreprises organisées. Est-il concevable que l’administration fiscale se charge de la législation fiscale et en même temps du contrôle et des litiges? Elle est à la fois juge et partie. Comment dans ces conditions la législation fiscale peut-elle être intègre et crédible?», s’interroge-t-il.
A cet égard, M. Laribi a affirmé qu’il est important d’effectuer une évaluation du travail des agents fiscaux et identifier les fautes commises et leurs retombées sur les opérateurs économiques. Il évoque le droit conféré à l’administration d’imposer des taux et qu’il revient aux entreprises de prouver l’exagération dans cette imposition de telle sorte que le mécanisme de preuve n’est plus l’apanage de l’administration.
S’ajoutent à cela les sanctions qui sont, d’après notre interlocuteur, imposées sans informer les parties concernées, ainsi que les retards de paiement qui sont désormais sanctionnés à 2% contre 0,5% auparavant. C’est la preuve que l’on continue à sévir contre les entreprises organisées et les mettre en danger.
Face à cette situation, l’UTICA ne demande qu’une fiscalité juste et équitable, qui concilie la préservation de la trésorerie publique et la garantie des droits des entreprises organisées. «Nous demandons d’avoir des agents fiscaux intègres. Il n’y a pas de discipline dans la législation fiscale qui repose sur les principes de neutralité, de justice, d’équité et de consentement à l’impôt», estime-t-il.
Au final, il a fait savoir que «les entreprises passent par une conjoncture très difficile à cause de la pression fiscale, la chute de la productivité, la qualité des services des entreprises publiques et de l’administration…pression aggravée par de nouvelles impositions. Ceci ne pourra que toucher la pérennité des entreprises économiques qui constituent en définitive la principale source de la fiscalité nationale et l’avenir des générations futures», ajoutant qu’«il faut donc déployer plus d’efforts, de la part de toutes les parties prenantes, afin de garantir à ces entreprises un climat d’affaires favorable pour bien mener leur rôle dans l’impulsion de l’investissement et la création d’emplois», conclut-il.
PLF 2018: absence de vision
Habiba Louati, experte en fiscalité et ancienne secrétaire d’Etat chargée de la Fiscalité et des prélèvements a, de son côté, affirmé que l’absence de vision a profondément impacté le pouvoir du gouvernement dans la maîtrise des dépenses et la mobilisation des recettes fiscales.
Dans ce sens, elle a rappelé que dans le budget de l’exercice 2017, il y a eu une hausse de 2000 MDT des dépenses supportée par la loi de finances complémentaire dont le budget a été financé grâce à l’endettement. Mais actuellement, le gouvernement n’est plus en mesure de s’endetter et il est obligé de couvrir les dépenses par ses ressources propres.
Concernant le PLF 2018, Mme Louati a fait observer qu’il se trouve en contradiction avec le Plan de développement quinquennal, qui stipule un taux de croissance de 3,5%. «Il va à contre-courant. Il y a des pressions sur le budget et sur les dépenses qui ont amené à prendre ces dispositions. Mais ce qu’il faut réellement faire est de renforcer le contrôle fiscal et le recouvrement ainsi qu’améliorer les services administratifs afin d’accélérer le traitement des dossiers. Il faut également apporter une vision et une clarté à la démarche», ajoute-t-elle.
L’audace s’impose
Pour Ahmed El Karm, président de l’APBT et président du directoire d’Amen Bank, il a souligné que le PLF 2018 reflète une absence totale d’audace alors qu’il y a d’autres solutions envisageables.
De prime à bord, il a mentionné les dettes fiscales reconnues et non payées qui s’élèvent à 9000 MDT, selon le FMI, dont le montant recouvrable est de 2800 MDT.
Ainsi, il a cité une multitude de mesures fiscales qui ont été promulguées mais non appliquées, à l’instar des caisses enregistreuses, tout en appelant à recenser ces mesures.
Troisièmement, M. El Karm a déclaré qu’il faut veiller à réviser le système de compensation en l’orientant vers les couches nécessiteuses et de s’orienter, de même, vers la privatisation. Rappelant que «le plan d’ajustement structurel de 1986 a amené à la privatisation de 130 entreprises publiques et les effets ont été largement positifs. C’est pourquoi, il faut avoir de l’audace pour suivre cette approche. Pourquoi continuer à s’encombrer de certaines entreprises publiques dans des marchés concurrentiels?», se demande-t-il.
La restructuration des entreprises publiques est fondamentale
Dans le même sillage, Nafâa Ennaifer, président de la commission des affaires économiques de l’UTICA, a affirmé que le refus de privatiser certaines entreprises publiques prive l’Etat de grandes ressources, visant la mobilisation de fonds pour la couverture du budget. Ceci à l’encontre d’une masse salariale qui passerait de 1400 MDT en 2017 à 1600 MDT en 2018 entre augmentations salariales et crédits d’impôt.
M. Ennaifer n’a pas manqué de dire que «s’il n’y avait pas cette charge colossale, on ne serait pas dans cette situation. Une situation qui exige beaucoup d’ingénierie pour aboutir à des solutions fiables, mais je doute qu’il soit possible dans l’état actuel».
Et d’ajouter que la restructuration des entreprises publiques est fondamentale, évoquant à titre d’exemple la STAM, dont les pertes sont couvertes par l’Etat.
En guise de conclusion, Nafâa Ennaifer a estimé qu’ «on fuit les réalités et on ne veut pas affronter les réformes. Les signataires de l’Accord de Carthage doivent avoir le courage de regarder les choses en face, de poser les bonnes questions et d’opter pour les bonnes décisions qu’ils seront obligés de prendre tôt ou tard».