Le Centre International Hédi Nouira de Prospectives et d’Etudes sur le Développement (CIPED) relève les conditions difficiles dans lesquelles a été élaboré le projet de budget de l’Etat pour l’exercice 2018, qui subit les contrecoups d’une gestion budgétaire déficiente depuis l’année 2011 et d’une croissance économique molle, inférieure même au croît démographique.
Le CIPED salue cependant le fait que l’élaboration du budget de l’Etat ait de nouveau coïncidé avec celle du budget économique, ce qui est de nature à donner plus de cohérence à ces travaux et de mieux tenir compte des équilibres globaux du pays.
Le Centre considère, toutefois, que le budget 2018 manque encore de vision et qu’il n’a pas introduit l’inflexion requise qu’exige la situation actuelle des finances publiques et que le souci de mobiliser les ressources quel qu’en soit l’impact sur la situation économique et financière des entreprises et partant sur la croissance, a finalement prévalu. Le projet de budget semble considérer les dépenses comme étant incompressibles et les négocie comme une réalité difficile à changer.
Le CIPED constate également la décélération du rythme d’augmentation du budget retenu pour 2018, comparativement aux années antérieures (4% contre une augmentation de plus de 8 % entre 2010 et 2016). Il considère que dans la situation critique que vivent les finances publiques, un budget stable par rapport à 2017 aurait été plus indiqué. Il rappelle à cet égard que le niveau du budget de l’Etat est passé de 28.4% du PIB en 2010 à 33.6% en 2018, ce qui constitue une augmentation du prélèvement sur les ressources du pays de près de 5 points de PIB. Il est, à cet égard, important que le gouvernement se fixe un horizon pour ramener ce budget à moins de 30% du PIB, un seuil que le pays a toujours considéré comme une limite à ne pas dépasser.
Le CIPED considère, par ailleurs, que la situation actuelle nécessite des sacrifices de la part de tous les intervenants, ce qui ne semble pas être le cas dans le projet présenté. Le poids des mesures proposées pèse davantage sur les entreprises dont la contribution fiscale risque d’être surchargée et d’obérer la reprise de la croissance.
Concernant le contenu de la loi de finances, le CIPED rappelle que la lutte contre la fraude fiscale et l’économie informelle nécessite (a) un contrôle fiscal efficace et une Administration fiscale mieux organisée et mieux outillée, avec notamment des bases de données intégrées et des applications informatiques adaptées (b) la réduction de la pression fiscale et (c) le rétablissement de la confiance entre le contribuable et le fisc. Le Centre considère à ce propos que le contenu du projet de loi de finances dans sa version actuelle risque d’accentuer l’érosion de la confiance des opérateurs avec un sentiment d’oppression fiscale à l’endroit des entreprises et du secteur productif.
Emballement du budget depuis sept ans
Le problème provient du fait que le projet ne s’attaque pas aux origines du mal : emballement du budget depuis sept ans, croissance molle, dépenses improductives. Le budget représente plus du tiers du PIB, ce qui constitue une ponction élevée sur les ressources du pays. La première ligne devrait être donc de réduire les dépenses et essentiellement au niveau de deux rubriques : les salaires et la compensation et un meilleur ciblage des dépenses publiques vers deux objectifs majeurs : la reprise de la croissance et une politique sociale efficiente.
Le CIPED considère toutefois que bien que certaines des mesures – citées ci-après – dédoublent des dispositions déjà existantes, le projet comporte quelques aspects positifs parmi lesquels :
a. La suppression du régime forfaitaire de l’impôt sur les revenus et son remplacement par un régime de forfait d’assiette spécifique aux petites entreprises (A.26).
b. L’encouragement à la création d’entreprises (art 13).
c. Le renforcement de la continuité des PME (art 15).
d. L’encouragement au recrutement des diplômés de l’enseignement supérieur (Ar 19)
A cet égard, il importe de veiller à éviter les doubles dispositions afin de simplifier les mesures et assurer les conditions de leur bonne application.
Le CIPED relève, cependant, que certaines dispositions du projet prennent à contre-pied les orientations que devrait se fixer le pays. Il en est ainsi du gel du crédit de TVA au 31 décembre 2017 pour le commerce de gros et les professions libérales, avec la possibilité de dépôt de demandes de restitution entre le 1er avril 2018 et le 30 septembre 2018 ; une mesure qui constitue une véritable confiscation de droits et touche même à l’honorabilité de certaines professions.
C’est également le cas de l’institution de la TVA sur les immeubles à usage d’habitation ; une mesure qui bien qu’elle tende à éviter la rupture de la chaîne de TVA, ne manquera pas d’augmenter les prix et d’amplifier les problèmes de mévente que connaît déjà le secteur. Un assujettissement progressif à la TVA aurait été meilleur pour le secteur (6% pour l’habitat social et 12% pour les autres, dans un premier temps).
Certaines mesures de lutte contre la contrebande et l’économie informelle suscitent également des interrogations. Il en est ainsi des hausses des taux des droits de douane sur plusieurs articles alors que deux années auparavant, les taux pour les mêmes articles ont été abaissés afin de lutter justement contre la concurrence parallèle qui profite des taux élevés des droits de douane et de la taxe à la consommation. Une clarification de la démarche mériterait à cet égard d’être faite.
Charges additionnelles
Quant à l’augmentation de la TVA d’un point, il est vrai qu’une marge d’augmentation subsiste comparativement aux taux en vigueur dans plusieurs pays. Toutefois, dans la situation actuelle que vit le pays, l’augmentation des taux pourrait entraîner des difficultés de trésorerie pour les entreprises et finir par être supportée par les consommateurs finaux, ce qui impacterait directement leur pouvoir d’achat. Il aurait fallu axer les efforts plutôt sur la généralisation de la TVA à l’ensemble des secteurs, produits et services pour éviter les ruptures de chaîne de TVA.
Venant en appui à la réforme du système de sécurité sociale, l’instauration d’une contribution sociale solidaire sur les revenus et les bénéfices réalisés à partir du premier janvier 2018 aurait dû être précédée par la mise en œuvre des dispositions de la réforme, en particulier celle du rallongement de l’âge de départ à la retraite et l’augmentation des cotisations.
Par ailleurs, cette mesure aurait pu se limiter aux personnes physiques, les entreprises étant amenées à payer les 2/3 de l’augmentation des cotisations qui serait décidée dans le cadre de la réforme elle-même.
Quant à l’augmentation du taux de la retenue à la source sur les dividendes de 5 à 10%, il faut signaler que cette mesure ramènerait le taux global d’imposition des entreprises à plus de 32% ; ce qui constitue une pression fiscale élevée qui n’est pas à même d’encourager les entreprises à investir et à étendre leurs activités.
En définitive, les charges additionnelles qui proviendraient des mesures proposées dans le projet de loi de finances incomberaient en grande partie à l’entreprise et aux professionnels.
Une partie de cette charge additionnelle sera répercutée sur le consommateur et se traduira par une augmentation des prix et une baisse du pouvoir d’achat. Il en sera ainsi tant que le problème des dépenses, en particulier les dépenses de salaires et de compensation reste posé et que l’Etat n’engage pas encore les mesures et les stratégies nécessaires pour maîtriser ces dépenses.