«Le budget économique 2018: commentaire sur le schéma de croissance», tel est l’intitulé de l’étude réalisée par le think tank Solidar Tunisie et présentée ce matin, lors d’une conférence présidée par Lobna Jribi, présidente de Solidar Tunisie, Zied Laâdhari, ministre du Développement, de l’Investissement et de la Coopération internationale, Mongi Rahoui, président de la Commission des finances, de la planification et du développement au sein de l’ARP, et ce, en présence des représentants de l’ARP, de la société civile, des médias ainsi que des experts en la matière.
Dans ce cadre, les analystes de Solidar Tunisie, à leur tête Lobna Jribi, ont constaté que «le Budget 2018 vise à redresser les déséquilibres macroéconomiques. Toutefois, sur de nombreuses questions, il procède de la même logique que le budget 2017 au risque d’avoir des performances similaires et de ne pas réaliser les objectifs qu’il s’est fixés».
Ainsi, ils ont estimé que «ce budget adopte un schéma de croissance qui redonne au secteur productif le rôle majeur. Il sera à l’origine de 95,2% de la valeur ajoutée. Cependant, ce schéma reste fragile, dans la mesure où la croissance économique prévue pour 2018 dépendra fortement des performances du secteur agricole et de celles des industries primaires (mines et énergie)».
Selon leur lecture, «ce schéma de croissance se fixe pour objectif de redonner à l’investissement son rôle moteur dans la stimulation de la croissance. Cependant, les ambitions affichées à ce titre risquent de se heurter à l’évolution de la pression fiscale sur les entreprises et à la dégradation du climat des affaires dans le pays. C’est aussi un schéma de croissance où le rôle du commerce extérieur et de la politique le concernant restent ambigus».
Mais si ce schéma de croissance prévu pour 2018 devrait se réaliser, «il en résulterait, selon Solidar Tunisie, un déficit courant encore trop important à 8,2%, un encours excessif de la dette à 72,3%, un taux d’inflation croissant à 5,8% et sensiblement supérieur à celui projeté par le plan quinquennal de développement (3,6%)».
Lecture du PLF 2018
En ce qui concerne le projet de loi des finances – PLF 2018, la même lecture de Solidar Tunisie a fait ressortir que ce PLF «manque remarquablement de vision, contredit les orientations retenues dans les lois de finances précédentes en matière de réformes fiscales et douanières et de lutte contre la contrebande et l’économie parallèle. Il vise essentiellement à mobiliser des ressources pour faire face aux dépenses publiques croissantes».
Toutefois, il a été constaté que «le PLF 2018 aura pour conséquences d’augmenter la pression fiscale directe sur les entreprises mais aussi la pression fiscale indirecte, et ce, à travers d’une part l’augmentation des prix des intrants menaçant la compétitivité des entreprises et alimentant davantage l’économie parallèle, et à travers d’autre part le renchérissement des prix de produits de consommation avec tous les effets que cela pourrait avoir sur le pouvoir d’achat des citoyens».
Recommandations de Solidar Tunisie
Face à ces constats, le think tank a préconisé d’optimiser, de prime à bord, la mobilisation des ressources au profit du budget de l’Etat, et ce, via l’amélioration du recouvrement des dettes publiques en mettant en place une commission de pilotage dédiée à cet effet, et via l’élargissement de l’assiette fiscale au lieu d’augmenter les taxes et les taux actuels d’imposition.
Egalement, Solidar Tunisie a recommandé d’améliorer le système fiscal en instituant une déduction des bénéfices provenant du réinvestissement d’extension dans le but d’encourager les investissements et d’accroître la compétitivité des entreprises.
En outre, les analystes ont recommandé d’annuler certaines mesures inscrites dans le PLF 2018 et qui sont de nature à bloquer les investissements, à savoir l’obligation faite d’accompagner la déclaration de revenus ou d’impôt d’un certificat attestant l’entrée en activité de l’investissement, qui constitue, selon leurs propos, une condition difficile à réaliser pour les projets nouvellement créés et pour les opérations d’entrée au capital.
Pour encourager les investissements, ils ont proposé d’étendre le champ des incitations fiscales au titre du réinvestissement dans le domaine des énergies renouvelables et du recyclage des déchets et d’accorder des avantages fiscaux afin de financer les projets dans le secteur des énergies renouvelables par l’émission de titres participatifs.
Au final, le think tank a proposé d’accorder une importance particulière à l’investissement dans les nouvelles technologies et de préparer le terrain à ce secteur, et ce, à travers la numérisation de l’administration.
«Des réformes douloureuses doivent être soutenues par un consensus»
En donnant sa lecture du budget et du PLF 2018, Zied Laâdhari a annoncé qu’il faut situer ce PLF dans son contexte marqué par deux défis majeurs relatifs à l’impératif de redresser la barre des finances publiques et de revoir le modèle de croissance. La résolution de ces deux défis n’est possible, selon le ministre, que par l’instauration d’un consensus économique et social, à l’instar de celui trouvé sur le plan politique.
D’autre part, il a noté que le PLF 2018 a été élaboré sur la base d’un écart entre les dépenses publiques et les ressources propres de l’Etat. Un écart exacerbé par la hausse du niveau des salaires de la fonction publique, les déficits cumulés par les entreprises publiques et les caisses sociales ainsi que la hausse du budget de compensation.
Et d’ajouter que le vrai problème consiste dans le fait qu’on a toujours reporté la réalisation des vraies réformes, suite à la complexité de la donne économique et sociale et au manque de courage politique.
Pour faire face, Zied Laâdhari a considéré qu’un vrai programme de réformes est aujourd’hui mis sur la table. Des réformes douloureuses qui doivent, selon ses dires, être soutenues par un minimum de consensus et dont il faut accepter le coût.
«Ce programme de réformes doit aboutir à un vrai assainissement de l’environnement des affaires, à la stimulation de la croissance dans les secteurs à forte valeur ajoutée et à une meilleure inclusion sociale basée sur le principe de ciblage», conclut-il.
«Le PLF 2018 risque d’aggraver davantage la crise économique et sociale»
Mongi Rahoui a fait savoir, quant à lui, que depuis 2012, les mêmes objectifs et les mêmes intitulés reviennent chaque année sans qu’il y ait le moindre avancement sur l’un de ces objectifs. Ce qui remet en cause les démarches adoptées et la politique de réformes retenue.
Et d’ajouter que le PLF 2018 risque de reproduire le même cercle vicieux, aggravant davantage la crise économique et sociale.
Il a, dans ce sens, mis l’accent sur le dérapage de taille de l’endettement, notant que le total des ressources d’emprunt a atteint 53 369 millions de dinars (2012-2017). Et de dénoncer l’usage fait de ces ressources et l’incapacité des autorités à orienter les montants contractés vers la création des richesses et la croissance.
Le président de la Commission des finances a, toutefois, estimé que les montants mobilisés pour l’investissement se sont élevés, entre 2012 et 2017, à 30 394 millions de dinars. Ces derniers devraient, selon lui, contribuer à changer le quotidien des citoyens et la situation dans les régions, mais rien n’a été fait.
En guise de conclusion, Mongi Rahoui n’a pas manqué d’évoquer les hypothèses retenues dans l’élaboration du PLF 2018, mettant en doute leur véracité et s’interrogeant sur le flou qui existe dans ledit projet concernant le taux de change.