Le Liban est sous le choc et appelle au retour de Saad Hariri, son Premier ministre démissionnaire, dont la majeure partie de la population et de la classe politique pense qu’il est retenu contre son gré en Arabie saoudite.
Saad Hariri vient précisément de sortir de son silence pour annoncer, depuis Riyad, qu’il allait « rentrer au Liban bientôt ». Il a nié avoir démissionné sur instructions de l’Arabie saoudite et être l’otage du royaume des Saoud (en guise de sanction de sa posture conciliante à l’égard du Hezbollah). Il a même laissé entendre qu’il était susceptible de revenir sur sa démission (que le chef de l’Etat, Michel Aoun, a d’ailleurs refusé en l’état), si le mouvement chiite libanais du Hezbollah (actif en Syrie, aux côtés de son allié Bachar Al-Assad, mais accusé aussi d’être impliqué au Yémen en soutien des houthies) s’engageait à se plier au principe de non-ingérence dans les affaires régionales …
لأن دموعك غالية علينا ولأنك إبن رفيق الحريري وقائد نفتخر به.. ناطرينك وعلى الوعد.
ادعو محبي وأنصار #سعد_الحريري إلى إعادة نشر الفيديو دعماً للرئيس.. #جيري_ماهر pic.twitter.com/oX2gnHu2LK
— Jerry Maher (@jerrymahers) 12 novembre 2017
L’ensemble de ses dernières déclarations tenues à l’occasion d’une longue interview télévisée n’a pas levé les doutes légitimes sur sa véritable liberté d’action. A l’inverse, son possible retour en fonction suggérerait l’échec de Mohamed Bin Salmane, le nouvel homme fort du régime saoudien, à trouver un supplétif appartenant au « bloc sunnite » et assumant une position ferme à l’égard du Hezbollah. Ce dernier épisode ne fait qu’illustrer un trait récurrent de la réalité politique libanaise : une logique communautaire dont les ramifications débordent les frontières nationales, tant le pays est devenu le théâtre du jeu des puissances régionales iranienne et saoudienne.
Or le Liban demeure un pays particulièrement fragile. La guerre civile syrienne a un impact direct sur le plan humanitaire (avec les centaines de milliers de réfugiés), sécuritaire et politique. Elle fait renaître les vieux démons de la guerre civile qui a également déchiré le Liban (1975-1990), avec déjà à l’époque les différends communautaires, la rivalité entre les clans et les grandes familles, le refus de remettre fondamentalement en cause le partage communautaire décidé en 1943, le rejet par les Maronites de la présence de réfugiés palestiniens arrivés en masse après 1967…
La guerre civile libanaise a provoqué l’effondrement de l’appareil d’État et l’éclatement du territoire en zones communautaires (formalisé par deux gouvernements : l’un maronite, l’autre sunnite) avec partis et milices. La « géopolitique complexe » du pays a transformé la guerre civile en conflit régional voire international, le Liban s’étant retrouvé successivement occupé au Sud par Israël (avec la collaboration des forces maronites phalangistes chrétiennes) et par la Syrie. Les clivages communautaires et politiques se croisaient sans se recouper intégralement : la grande majorité des chrétiens (tous rites confondus) protestaient violemment contre la présence syrienne et palestinienne au Liban tandis que presque tous les musulmans (sunnites et chiites) appuyaient la cause palestinienne et la présence des forces de l’État syrien sur le territoire libanais. Un compromis a été trouvé à Taëf pour mettre fin à la guerre civile, accord qui appelait au retrait des forces israéliennes (auteurs d’une série d’agressions et d’invasions terrestres, notamment en 1982 et en 2006), mais pas à celui des forces syriennes (d’où le rejet de cet accord par une partie des chrétiens, dont le général Aoun, actuel chef de l’Etat) soutenues par ses alliés du Hezbollah.
Formellement, la Constitution nationale prévoit une répartition des pouvoirs institutionnels entre les principales communautés : le président de la République doit être de confession maronite, le Premier ministre, sunnite et le président de la Chambre des députés, chiite. Le Parlement libanais garantit la représentation politique des communautés : les 128 sièges de députés sont répartis à égalité entre chrétiens (issus des principaux rites) et musulmans. Ce système politique est censé épargner au Liban l’hégémonie d’une communauté sur une autre, comme c’est le cas en Syrie, en Irak et en Égypte. En réalité, depuis la sortie de la guerre civile, le Hezbollah est devenu un acteur politique central qui domine le jeu politico-institutionnel libanais. Une position et un statut qui n’a cessé de se renforcer, ce qui a progressivement motivé l’Arabie saoudite à s’engager dans une stratégie d’ingérence croissante en vue de contrer cette hégémonie.
Après l’assassinat du Premier ministre Rafic Hariri en 2005, une mobilisation populaire exceptionnelle (dans les communautés chrétienne, sunnite et druze) se fait jour contre l’emprise syrienne sur le territoire, l’économie et la politique du Liban. Cette « révolution du Cèdre » conduit, sous la pression de la « communauté internationale », au retrait de l’armée syrienne du Liban, au lancement d’un processus électoral en juin 2005 et à la création d’un Tribunal pénal international spécial. Depuis lors, un système bipolaire de partis s’est structuré autour de l’affrontement régional et international opposant deux axes : américano-saoudien et irano-syrien.
Deux blocs s’opposent dans un rapport de forces relativement équilibré : d’un côté, soutenu par l’axe américano-saoudien, le « bloc du 14 mars », qui doit son nom à l’insurrection ayant eu lieu à cette date pour exiger le départ de l’armée syrienne du Liban et la fin des ingérences du régime de Bachar Al-Assad ; de l’autre, soutenu par l’axe irano-syrien, le « bloc du 8 mars », date d’un regroupement de soutien au régime syrien alors pointé du doigt par une partie des Libanais et par la « communauté internationale » après l’assassinat de l’ancien Premier ministre, qui comprend notamment le Hezbollah chiite. Depuis, la fracture politique a été ravivée par la guerre civile en Syrie. Outre les heurts interconfessionnels que celle-ci a provoqués, c’est le leadership régional qui se joue entre l’Iran et l’Arabie saoudite.