C’est dur d’être un petit pays avec une petite armée, une société profondément divisée confessionnellement, idéologiquement et politiquement. C’est dur d’être coincé entre la Méditerranée à l’ouest, Israël, un bandit armé jusqu’aux dents, au sud, et la Syrie, en guerre depuis sept ans, au nord et à l’est. C’est dur d’être tiraillé jusqu’à l’écartèlement par deux puissances régionales, l’Arabie saoudite et l’Iran, chacune voulant à tout prix dominer, vassaliser et mettre sous tutelle le pauvre Liban.
L’histoire et la géographie n’ont pas été très généreuses avec le pays du Cèdre.Le charcutage arbitraire de la dépouille de l’Empire ottoman au lendemain de la Première Guerre mondiale a fait du Liban une mosaïque confessionnelle où coexistent difficilement sunnites, chiites, druzes et chrétiens.
Son emplacement au cœur d’une région, où la paix a toujours été une brève parenthèse entre deux guerres, a fait que, presque naturellement, le territoire libanais se transforme en lieu tout indiqué où se règlent les comptes entre Palestiniens et Israéliens hier et entre Saoudiens et Iraniens aujourd’hui.
C’est l’histoire et la géographie qui ont fait que le Liban vive une guerre civile atroce qui avait duré quinze ans, de 1975 à 1990. Le souvenir cauchemardesque de ces années de braise qui hante les Libanais est pour beaucoup dans le consensus libano-libanais, toutes confessions et toutes familles politiques confondues, de rester divisés politiquement et confessionnellement, s’il le faut, mais de ne pas en venir aux mains comme en 1975.
Et de fait, malgré la guerre en Syrie, malgré la présence d’un million et demi de réfugiés syriens (un tiers de la population locale), le Liban a réussi tant bien que mal à se tenir à l’écart des grands brasiers qui ensanglantent la région. Et c’est d’autant plus remarquable que le pays était resté pendant deux ans sans président et avec un parlement élu en 2009 mais qui, en l’absence d’un président et d’une loi électorale, n’avait d’autre choix que l’auto-prorogation.
Mais depuis, un président a été élu en la personne du général Michel Aoun ; un gouvernement a été formé par le chef du parti ‘Al mostaqbal’, Saad Hariri ; une loi électorale a pu, après un long blocage, être adoptée en juin dernier ; la date des élections législatives a été fixée au printemps 2018 ; l’économie, si elle n’est pas florissante, elle n’est pas en crise non plus. Bref, tout allait bien quand l’Arabie saoudite surgit. Elle n’a pas surgi pour donner un coup de pouce à un petit pays qui tient laborieusement la route au milieu des tempêtes, mais pour donner un coup de pied dans la fourmilière.
Avant d’être « convoqué » par les autorités saoudiennes, le Premier ministre libanais, Saad Hariri, faisait son travail normalement, et même dans la joie, si l’on en juge par la bonne humeur, le large sourire et la déclaration optimiste exprimés pendant et après sa rencontre avec Ali Akbar Velayati, le conseiller du guide iranien Ali Khamenei. Nulle tension, nulle menace qui pesait sur sa vie et pas la moindre friction entre les deux principaux courants politiques du pays, celui du 8 mars (Hezbollah) et celui du 14 mars (Al Mostaqbal).
C’est dire la consternation générale au Liban et en dehors du Liban quand, en cette fameuse journée du 4 novembre, Saad Hariri apparut sur la chaîne « Al Arabia », visiblement embarrassé et tendu, où il annonça sa démission en lisant un texte préparé à l’avance. Non seulement il annonça sa démission à partir d’un pays étranger, mais il accusa avec virulence l’Iran et le Hezbollah de comploter pour l’assassiner et pour déstabiliser son pays, promettant… de leur couper la main ! Un langage saoudien par excellence…
Depuis, Saad Hariri est « séquestré » en Arabie saoudite, selon l’expression du président Michel Aoun, et ce problème, sans précédent dans les annales des relations entre les nations, a pris une ampleur internationale bien avant la tournée dans les principaux pays européens du ministre libanais des Affaires étrangères, Gebran Bassil, pour demander de l’aide. On aura tout vu en ces années folles. Un petit pays qui appelle à l’aide pour la libération de son Premier ministre « séquestré » par un grand pays de la région !
Les Libanais ont bien raison de considérer l’étrange comportement saoudien comme un affront et une humiliation pour leur pays. Tout le monde sait que la famille Hariri doit sa position politique et sa grosse fortune financière à l’Arabie saoudite. Par conséquent, il n’est guère étonnant que Saad Hariri obéisse à ses bienfaiteurs et subisse leur diktat. Il sait et les Libanais savent que s’il leur tenait tête, il perdrait tout, c’est-à-dire sa position politique et son immense fortune financière.
Si l’on croit le journal israélien ‘’Haaretz’’, les Saoudiens n’ont plus confiance en Saad Hariri. Ils auraient exigé de lui qu’il s’éclipse et cède la place à son frère aîné Bahaeddine. Le journal israélien rappelle aussi que feu Rafic Hariri et sa deuxième femme Nazik avaient une préférence pour Saad, bien qu’il soit plus jeune que Bahaeddine.
C’est donc un front de plus que le jeune prince héritier Mohammed Bin Salmane vient d’ouvrir au Liban. Un front qui s’ajoute aux autres ouverts avec la Syrie, avec le Yémen, avec le Qatar et avec ses cousins en Arabie saoudite, dépouillés de leurs fortunes et de leur pouvoir. Sans parler du front iranien qu’il rêve de voir les Américains et les Israéliens ouvrir pour lui.
Trop de fronts à la fois, trop de problèmes à régler en même temps, cela dépasse et de très loin les modestes capacités d’un jeune prince inexpérimenté, dont les gesticulations n’ont abouti à aucun résultat, sinon la multiplication des ennemis à l’extérieur et à l’intérieur.