Nous sommes et resterons un petit pays ! Quelles implications cette affirmation peut-elle entraîner ?
De tout temps, le pays a dû composer avec l’adversité : incursions, invasions, occupations. Mais il a « persévéré dans son être » (le conatus de Spinoza). Ballotté, bousculé, le pays et plus précisément son peuple a su se doter, au fil du temps, de cette « force propre et singulière qui lui a permis de persévérer dans l’effort pour conserver et même augmenter sa puissance d’être ». Un trait culturel propre réitéré et renouvelé, à la jonction de la domination occidentale et de la résistance orientale. Qu’est-ce à dire ? Quel rapport avec la place et le rôle du système bancaire aujourd’hui et demain !
Précisément, parce que ce système bancaire porte en lui ce trait de caractère: une dualité, une ambivalence faite de mimétisme (une posture pro-occidentale, un affichage moderniste) d’un côté, et de duplicité et de dissimulation (accommodements, arrangements entre les diverses fractions de la société) de l’autre. Dit autrement, le système bancaire fonctionne avec un avers et un envers.
Côté face, il est plus royaliste que le roi et se conforme, du moins en apparence, aux réquisits et aux recommandations de la bonne gouvernance. Côté pile, il développe une activité quotidienne soumise à de multiples interventions, ponctuée de pressions mal maîtrisées, de jeux d’influence qui façonnent au bout du compte le profil de sa gestion et de ses résultats. Etrangement, mais phénomène assez fréquent, l’opinion semble frappée d’amnésie ou de cécité (c’est selon). Il n’est plus question que de réformes, d’applications des préconisations des Bâle II voire III, d’une nouvelle loi bancaire. L’intensité de ce sentiment de nouveauté, largement relayé et amplifié par toute la médiasphère est proportionnelle à la perte de mémoire! Car soyons sérieux, le système bancaire n’en est tout de même pas à sa première grande crise. Une crise bancaire surgit en moyenne tous les 10 à 15 ans, avec une profondeur et une amplitude, certes, différentes à chaque fois (les banques en difficulté ne sont pas les mêmes, comme l’importance des dégâts et leur éventuel propagation).
Comme vous l’avez sans doute déjà compris, ce papier ne se contente pas de « manipuler » quelques chiffres bien choisis au sein de tableaux de bord savamment construits, mais il veut insister sur les « pratiques réelles », qu’il s’agisse d’octroi de crédit ou de gestion monétaire. On n’en finirait pas de retrouver dans les crises successives qui ont secoué ce secteur les mêmes causes aux défaillances, voire aux faillites virtuelles (jamais effectives comme sous d’autres cieux).
Une complaisance constamment renouvelée: exit sous le tapis les canards boîteux suite à des pratiques douteuses, effacement artificiel des créances carbonisées, injection d’argent frais,…toutes les techniques sont sollicitées pour préserver les apparences. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, les banques passent du statut de « défaillance à haut risque » à celui de « solides fondamentaux ». Vous avez dit la crise ! Mais quelle crise, les banques se portent bien, à en juger par leurs résultats. Le tour de passe-passe a bien eu lieu (recapitalisation des grandes banques à risques systémiques), enfouissement des dettes irrécouvrables mais aussi celles qui pourraient être recouvrées, sanctions de pure forme, aucune faillite. Juste un jeu de chaises musicales pour les PDG et un nouveau cycle peut être entamé.
Car il faut bien se rendre à l’évidence, les apparences sont toujours sauves. Les gestionnaires bancaires produisent bien régulièrement des documents comptables certifiés, ainsi que des bulletins réguliers, les tableaux de bord sont communiqués aussi bien à l’instance dite de régulation (la BCT) qu’aux hauts fonctionnaires du ministère des Finances, voire à ceux de la Cour des comptes. Même les institutions les plus aguerries, telles les agences de notation ou la Banque mondiale sont mystifiées.
L’argent va à l’argent
Mais alors, pourquoi cette récurrence à intervalles plus ou moins réguliers de crises bancaires ? Parce que si les gestionnaires s’efforcent de faire du « window dressing » en permanence, les pratiques de crédit et de financement, elles, ne changent pas. Le plus souvent, ce sont des explications techniques qui sont avancées : manque de professionnalisme, méconnaissance de la législation, erreurs de gestion. Mais la réalité est bien plus crue que cela. Les banques sont prises dans un faisceau d’injonctions, d’intimidations diverses qui les font souvent obtempérer: des financements non adossés à de réelles garanties, une complaisance complice à l’égard de certaines entreprises publiques comme privées. C’est ce que d’autres, avant nous, ont qualifié de « système de connivence ». L’explication n’est donc pas technique, mais fondamentalement d’ordre comportemental !
Il est encore bien trop tôt pour parler véritablement de « réforme du système bancaire » (réforme au sens fort et non replâtrage comme cela a encore été le cas en 2014- 2016). Le système bancaire est à l’image du pays tout entier : sauver ce qui peut l’être et fuite en avant. Les banques vont effectivement mieux, car elles recyclent les surplus de l’économie informelle, elles relèvent leur taux de commission et d’intérêt. Elles continuent allégrement à financer les dérives court-terme de la bulle foncière et immobilière et du crédit sans risque du gonflement ininterrompu et incontrôlé d’importations. Mais aussi et tant que faire se peut, elles se rémunèrent à des taux élevés et sans risque, via les bons du Trésor ou obligations émises par les entreprises publiques. Du coup, la boucle se remet en marche : gonflement des créances douteuses (bilanciel), augmentation des commissions et marges d’intermédiation débouchant sur un redressement de la rentabilité immédiate (opérationnel).
Une aporie récurrente et constante contre laquelle les admonestations de la BCT ne peuvent rien !!!
Au bout : une nouvelle crise de liquidité inévitable, faute de devises suffisantes et d’un ralentissement économique, masquée de nouveau par des artifices économiques et comptables accommodants.
Il ne peut y avoir de réforme de la politique de crédit (laissée encore au libre jeu des forces du marché), sans véritable et préalable nouvelle politique économique. Tout le monde convient, peu ou prou, que le modèle de développement est caduc. Mais nos élites, tant politiques qu’économiques n’entrevoient de salut que dans une fuite en avant faite précisément de ce libre jeu des forces économiques, dont l’ultime horizon ressemblerait à quelque émirat : Doha ou Dubaï (la Tunisie, une plateforme commerciale et financière). Dans la configuration actuelle, le système bancaire ne peut lui aussi que se livrer à cette guerre de tous contre tous, aggravée par le surnombre d’établissements, et se contenter de gérer ses marges au plus près des marchés et des couches sociales les plus solvables, Etat compris. Pas étonnant que les promoteurs de franchises, de « Malls commerciaux », n’aient aucune peine à voir financer leur projet. En revanche, les jeunes pousses technophiles et autres adeptes des TIC, des énergies nouvelles, des activités de recyclage ont toutes les peines du monde à réunir le capital d’amorçage.
Plus qu’ailleurs sans doute, l’adage qui dit « l’argent va à l’argent » est vrai, et notre système bancaire n’échappe pas à cette loi d’airain !