Cela fait des années, peut-être des décennies, que le citoyen arabe moyen de l’Atlantique au Golfe se demande à quoi sert la Ligue arabe. Créée en 1945 pour aider à l’unité, à l’intégration et la sécurité des pays arabes, ceux-ci sont aujourd’hui plus loin de l’unité, de l’intégration et de la sécurité qu’ils n’étaient il y a soixante douze ans.
A y regarder de près, cette institution a été depuis sa création une sorte d’arène où les pays arabes se rencontrent, se défoulent, s’en prennent les uns aux autres, s’insultent parfois, avant de se séparer et attendent la prochaine rencontre ou le prochain sommet ordinaire ou extraordinaire.
Certes, il y a un ordre du jour, des sujets anodins ou brûlants sur lesquels les ministres des Affaires étrangères ou les présidents et les rois se penchent, mais dans tous les cas, les problèmes traités restent, au mieux, en suspens sans solution aucune, et au pire s’aggravent et débouchent sur des désastres dont le nombre et la complexité laissent pantois le plus blasé des hommes.
Qu’il s’agisse du désastre palestinien qui dure depuis soixante dix ans, du désastre irakien qui dure depuis 25 ans, du désastre syrien qui dure depuis plus de sept ans ou du désastre yéménite qui dure depuis plus de trois ans, la Ligue arabe s’est toujours comportée en spectatrice frappée d’une infirmité qui la tétanise et l’empêche d’avoir la moindre influence sur le cours des événements, quand elle n’est pas manipulée et forcée de jouer les pyromanes dans une région hautement inflammable.
Car enfin, qu’a fait la Ligue arabe pour protéger les Palestiniens contre le banditisme armé d’Israël ? Pour protéger les Irakiens et les Syriens contre le complot satanique ourdi quelque part entre Washington, certaines capitales européennes et certaines capitales arabes ? Pour protéger les Yéménites victimes par millions des bombardements saoudiens, du choléra et de la famine ?
Et là on arrive au nœud du problème. Cela fait plus de trois ans que le Yémen subit dans l’indifférence générale la destruction systématique de ses infrastructures vitales ; que des millions de Yéménites sont soit enterrés sous les décombres des bombardements saoudiens, soit emportés par le choléra, soit condamnés à une mort lente par la famine et l’absence de médicaments.
Pendant plus de trois ans de drames et de tragédies vécus quotidiennement par le peuple yéménite, la Ligue arabe a gardé un silence plus assourdissant encore que l’explosion des bombes et des missiles saoudiens. Elle n’a pas protesté une seule fois, ne serait-ce que pour la forme, contre la destruction de maisons et des hôpitaux, ni contre le bombardement des cérémonies de mariages et d’enterrements.
Et puis un jour, un missile tiré du Yémen en direction de Riyad, vite intercepté et qui n’a pas fait un seul blessé. C’était suffisant pour que la Ligue arabe entre en transe et se déchaîne contre l’Iran qui a « fabriqué » le missile et contre le Hezbollah qui l’a « lancé », sans pour autant produire la moindre preuve. Réunion d’urgence au Caire pour dénoncer avec virulence « Hezbollah le terroriste » et « l’Iran sponsor du terrorisme et déstabilisateur du monde arabe ».
Mais les choses ne s’arrêtent pas aux attaques verbales contre « les ennemis chiites ». La Ligue arabe, censée œuvrer pour la sécurité et la stabilité des pays membres, s’en prend même au Liban et aux Libanais auxquels il est reproché d’être passifs face à « l’aventurisme militaire » du Hezbollah, et les somme de choisir entre « le camp arabe » et « le camp iranien ».
Il n’y a aucune raison de s’étonner d’une telle attitude de la Ligue arabe qui, depuis belle lurette, était devenue une marionnette aux mains des Saoudiens qui, grâce à leurs pétrodollars, ont réussi à faire de cette instance arabe un instrument au service de la politique étrangère du royaume wahhabite.
Cela dit, et en dernière analyse, ce qui est exigé des Libanais, c’est qu’ils déstabilisent leur pays et le transforment en une arène de guerre confessionnelle pour faire plaisir aux Saoudiens. Plus clairement, le Royaume wahhabite exige des Libanais, s’ils veulent faire partie du « camp arabe », de désarmer Hezbollah et de mettre fin à ses « aventures militaires » en dehors du Liban, à l’instar de son intervention en Syrie où il a contribué à faire échouer le complot américano-franco-anglo-saoudo-turco-qatari contre le pays de Bachar.
Le plus extraordinaire, c’est que le secrétaire général de la Ligue arabe, Ahmad Abou al Ghait, s’est déplacé lui-même au Liban, juste après la réunion du Caire, pour convaincre les responsables libanais de désarmer et d’isoler Hezbollah, ce qui, et Abou al Ghait ne peut l’ignorer, ouvrirait la voie à la guerre civile…
Le Liban est visiblement dans l’œil du cyclone saoudien. Il est clair que pour Riyad, entre un Liban stable mais sous influence iranienne et un Liban déstabilisé et à feu et à sang, le choix est fait. N’ayant pu réaliser ses desseins à travers la tragi-comédie de la démission télévisée de Saâd Hariri, le royaume wahhabite, en désespoir de cause, fait intervenir la Ligue arabe pour cette mission clairement déstabilisatrice.
Sans succès aussi, car les Libanais qui avaient vécu de 1975 à 1990 une guerre civile destructrice allumée et alimentée pendant quinze ans par des forces étrangères, sont bien vaccinés et semblent bien déterminés à ne pas tomber encore une fois dans le piège.
L’Arabie saoudite et la Ligue arabe sont en train de s’arracher les cheveux face à l’autoroute ouverte après la faillite du complot daéchien, et qui s’étend de Téhéran à Beyrouth, en passant par Bagdad et Damas. Mais leurs lamentations bruyantes les empêchent de se demander lucidement qui a appelé les forces américaines et qui les a financées pour détruire l’Irak, ce barrage contre « l’ennemi iranien », une première fois en 1991 et une seconde fois en 2003 ? Qui a dépensé des milliards de dollars et envoyé des dizaines de milliers de terroristes en Syrie, poussant Bachar à demander le plus normalement du monde l’aide de ses amis iraniens ?