Moment de grande opportunité que celui qu’a vécu dernièrement la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis. A l’approche de l’échéance des élections municipales, prévues pour le 25 mars prochain, des questions ont été posées concernant l’infrastructure juridique qui permettra au principe de la décentralisation d’être concrétisé, coupant de la sorte avec une tradition obsolète de gestion des affaires du pays, fondée sur le monopole de la prise de décision.
Les nouvelles dispositions constitutionnelles changent donc la donne pour le pouvoir local qui se voit de la sorte investi de nouvelles prérogatives lui permettant de se prendre totalement en main au niveau structurel et fonctionnel.
Deux journées d’études, coorganisées par les associations tunisiennes du droit constitutionnel et des sciences administratives et Democracy Reporting International ont tenté d’apporter un éclairage exhaustif sur les nouveautés concernant l’autorité locale. Synthèse…
Il est incontestable que la démocratie selon l’approche tant pragmatique que puriste ne peut s’épanouir et donner les résultats attendus que dans un contexte qui lui est propice et possédant les atouts favorables conséquents. Et la région, dans le sens de la localité fondée sur la subdivision géographique essentiellement, est tout indiquée pour cela. Il faut se rappeler à ce propos que la décentralisation telle que voulue par la Constitution consiste dans la subdivision en trilogie des composantes des structures concernées, en l’occurrence les municipalités, les régions et les départements, lesquels couvrent tout le territoire de la République.
Autrement, la démocratie restera une donnée manifestement théorique. La centralisation des pouvoirs de décisions et de l’infrastructure administrative est autant un facteur de pesanteur et d’inhibition qu’un critère négatif qui inhibe la démocratie plus qu’il ne contribue à son essor. En un mot, la démocratie est décentralisation, une réelle délégation des tâches et des responsabilités. Elle est aux antipodes du modèle instauré jusqu’à présent.
Avec la révolution, le besoin sous nos cieux s’est fait sentir de changer la donne et mettre la décentralisation à l’ordre du jour, et par là même de quitter le modèle éculé, appliqué jusque-là. D’emblée, le défi s’est imposé : opter pour un modèle plus aéré et donc plus gratifiant consistant dans le transfert du pouvoir de décision et de gestion à une autorité locale élue et librement choisie ou, à l’opposé, se confiner dans le modèle ancien et continuer à appliquer l’approche centraliste avec un zeste de souplesse, la déconcentration.
Des prérequis nécessaires à satisfaire
La Constitution du 27 janvier 2014 a tranché la question en instituant la notion d’autorité locale, et ce, à travers la mise en évidence de la notion de décentralisation. Un volet de la Constitution a été consacré à cela, lequel est composé de 12 articles (de 131 à 142), et ce, en plus du principe énoncé au niveau de l’article 14. Les dispositions de la Constitution du 1er juin 1959 qui, faut-il le rappeler, étaient énoncées en un seul article faisant référence d’une manière indirecte à la décentralisation (l’article 71). Un pas considérable a été de la sorte accompli.
Il n’en demeure pas moins que la mise en pratique de ces principes tarde à se manifester. Des prérequis juridiques sont nécessaires afin de donner à la décentralisation un sens. C’est le grand chantier de l’heure et l’heure de la promulgation de textes de loi qui balisent le terrain à la mise en place efficiente et efficace de l’autorité locale.
Le conclave de la Faculté des Sciences juridiques a été un moment fort pour mettre en exergue ces impératifs. Le sujet est donc d’une brûlante actualité comme l’a souligné Neila Chaâbane, doyenne de la faculté, soutenue en cela par les intervenants lors de l’ouverture des travaux des journées d’études, en l’occurrence Slim Loghmani, président de l’Association Tunisienne de Droit Constitutionnel, Mohamed Sayari, président de l’Association Tunisienne des Sciences Administratives et Adam Stip Ricovski, directeur du Bureau de Democracy Reporting International.
L’impératif de la légalité surtout
Le doyen Mohamed Salah Ben Aissa a pour sa part développé dans son rapport introductif les particularités qui caractérisent la question de l’autorité locale et son opportunité d’être posée en ces moments précis, surtout que les choses sont gérées actuellement non pas par une autorité locale élue, donc dotée des prérogatives constitutionnelles, mais par des représentations désignées à cet effet, ce qui pose effectivement le problème de la légalité. On est loin du concept de l’autorité locale telle que voulue par le législateur. La notion de l’autorité locale traduit une volonté de couper court avec un vécu de plus d’un demi-siècle de gestion instaurée par la Constitution de 1959.
Aujourd’hui, les choses ont totalement changé avec la proclamation du principe de la décentralisation, comme spécifié dans l’article 131 de la Constitution 2014. Cependant, des réformes demeurent nécessaires afin de réaliser l’équilibre voulu entre l’indépendance au niveau local et la nécessité de l’unité de l’Etat, lequel impose le contrôle d’opportunité comme le stipule l’article 132 de la nouvelle Constitution. Il s’agit donc et essentiellement de ne pas se départir du juste milieu entre la décentralisation et l’unité de l’Etat. Deux aspects indissociables sont à considérer : le structurel et l’organisationnel.
Le volet structurel en premier lieu
Il s’agit en fait d’enraciner davantage le sentiment de citoyenneté. Les municipalités créées sous l’ancien régime ne couvraient que 10% du territoire national, autrement dit le tiers de la population vivait en dehors du régime municipal. Les choses ont changé par la suite et 86 nouvelles municipalités ont été créées, ce qui porte le chiffre global actuellement à 350 municipalités, à travers toute la République.
Le souci de proximité
Cette prédisposition à «occuper du terrain» sur le plan de la création de municipalités consacre le souci de «proximité» proclamé par le législateur. Il importe à cet effet de combler «les vides», en donnant un sens à la décentralisation, car l’éloignement du centre entrave le feedback voulu avec les instances de l’autorité locale. Le nouveau régime juridique à ce propos favorise la création d’entités indépendantes, librement élues qui ont leurs structures et leurs prérogatives propres, surtout au niveau du rôle imparti au gouverneur qui n’est plus, selon la nouvelle approche, président du Conseil régional puisque celui-ci est désormais élu. Il est question donc d’une dualité entre une autorité indépendante et le gouvernorat en la personne du gouverneur. Il reste cependant à clarifier et à déterminer les prérogatives qui en découlent de chacun car, en fait, nous sommes en face de deux types d’autorités, l’une décentralisée – le conseil régional- et une autre dite « déconcentrée » en la personne du gouverneur.
Le volet fonctionnel comme garant de réussite
L’aspect relatif aux prérogatives consenties, donc fonctionnel, se résume entre autres dans le profil et le genre de contrôle à opérer sur les activités de l’autorité locale. Il est clair comme cela est spécifié dans la loi qu’il s’agit d’un contrôle exclusivement a-posteriori. Il ne s’agit pas, comme cela a été le cas par le passé, d’un contrôle préalable, une sorte de visa à obtenir avant toute décision, une sorte de manifestation en amont de l’autorité. C’est la nouveauté de la loi, laquelle sera sérieusement mise à l’épreuve après les premières municipales prévues pour le 25 mars prochain. Le gouverneur, d’après cette approche, n’aura que la possibilité de l’opposition et, le cas échéant, de se pourvoir en justice. A partir de là, on imagine l’apport à ce propos de la jurisprudence administrative.
«Un tunnel qui, il faut l’espérer, ne sera pas long et obscur»
Tout cela reste néanmoins théorique, car en attente de l’impact réel sur le plan pratique à l’occasion des prochaines échéances concrètes, les municipales surtout. Il est clair que la promulgation- attendue- du Code des collectivités collectives notamment permettra de faire le pont car, souligne le doyen Ben Aissa, les lois s’apprécient et se jugent par leur exécution. Il est clair que des difficultés se profilent surtout en ce qui concerne la question du transfert des prérogatives. Ce transfert se fera-t-il sans heurts, sans conflits? L’avenir nous le dira. Et M. Ben Aissa de conclure à cet effet que nous nous trouvons «dans un tunnel qui, nous l’espérons, ne sera pas long et obscur.»
Encore du travail à faire
Les interventions qui ont caractérisé le déroulement de ces deux journées d’étude ont continué dans ce sens et se sont focalisées sur différents aspects de la problématique traitée, surtout en ce qui concerne la mise en place de tout l’édifice juridique conséquent, entre autres le projet d’amendement de la loi de 2014 relative aux élections, celui des collectivités locales et autres textes en relation.
Ahlem Dhif a abordé dans ce cadre le principe de libre disposition tel que formulé par le projet du Code des collectivités locales, tandis que Saloua Trabelsi s’est interrogé sur la question de la démocratie participative dans son rapport avec l’autorité locale. Le professeur Slim Loghmanir, de son côté, a détaillé le principe de la subsidiarité, avant de céder la parole à Nouha Chaouachi qui a mis l’accent sur les particularités du pouvoir réglementaire des collectivités locales.
Et les interventions de se succéder : Jinen Imem (l’autorité déconcentrée et l’autorité décentralisée), Narjes Jedidi (gouvernance et collectivités locales), Raya Choubeni (les finances locales et l’indépendance), Mohamed Sayari (le contrôle financier des collectivités locales) et Chaouki Gueddes (les nouveautés dans les élections municipales).