«Réforme de l’administration, enquête auprès des PME tunisiennes», tel est le thème de la conférence organisée, ce matin, par le Centre des Jeunes Dirigeants d’Entreprises (CJD) en collaboration avec la Fondation Konrad-Adenauer-Stiftung (KAS), et ce, en présence de Wafa Laamiri, présidente nationale du CJD, Holger Dix, représentant permanent de la KAS, Slim Feriani, ministre de l’Industrie et des PME, Youssef Meddeb, DG du Cabinet One to One, ainsi que des représentants des administrations publiques et des PME.
Afin de préparer un climat d’affaires sain, transparent et compétitif favorisant la croissance et l’investissement, il faut préparer le terrain à travers des réformes de fond, permettant à l’entreprise de se concentrer sur son activité principale de création de valeurs et de richesses sans que celle-ci ne soit handicapée par des procédures administratives lourdes et contraignantes.
La longueur des délais ainsi que la lourdeur et la complexité de ces procédures font que l’une des réformes majeures les plus attendues en Tunisie est celle de l’administration publique.
Cette réforme doit se baser sur un certain nombre de mesures, à savoir la simplification des procédures, la numérisation et digitalisation de l’administration, la facilité de l’accès à l’information, la lutte contre la corruption ainsi que la bonne gouvernance et la gestion des ressources.
C’est dans cette optique que Wafa Laamiri a annoncé, dans son allocution d’ouverture, que la CJD a alerté à plusieurs reprises sur l’urgence de la réforme de l’administration publique. Pour la deuxième année consécutive, le centre a opté, en collaboration avec la KAS , pour l’initiative du Classement des administrations publiques tunisiennes.
Elle a en outre indiqué que le sujet de la réforme de l’administration publique en Tunisie a toujours été traité de façon technique et politique. Pour cette raison, la CJD a élaboré une enquête auprès de la PME sur sa perception de l’administration.
«On parle toujours de cette réforme mais, en tant que PME, on ne voit rien sur le terrain. Bien au contraire, on voit même des complications, du recul et du blocage qui freinent la création et le développement des PME même avec l’entrée en vigueur du code d’investissement depuis le 1er avril 2017 », a-t-elle souligné.
Et d’ajouter: «La PME est en train de subir non seulement de la pression fiscale, la dévaluation du dinar, l’inflation et autres mais aussi la lourdeur administrative».
A propos de l’édition 2018 de l’indice Doing Business, la Tunisie a perdu 11 places pour se retrouver à la 88e place mondiale sur 96, perdant 46 places en 7 ans, elle déclare : «L’analyse de cet indice montre que la Tunisie fait face à un problème structurel, celui de la bureaucratie», conclut-elle.
Malgré les efforts déployés, il y a encore du travail à faire…
Dans le même sillage, Holger Dix a précisé que les résultats de l’enquête, en comparaison de celle de 2016, ont fait ressortir une évolution de la qualité du service des administrations publiques et un état d’avancement du pouvoir public.
Cette enquête touche à deux axes du travail de la Fondation: la promotion de la démocratie et le renforcement de l’économie sociale du marché. Elle touche la démocratie parce que «nous sommes complètement d’accord que dans une démocratie, on a besoin d’une administration au service des citoyens et des entreprises », dit-il.
D’ailleurs, l’administration constitue, selon ses dires, la représentation la plus visible de l’Etat et le moyen privilégié pour la réalisation des attentes et aspirations de base. «Il faut donc une administration à visage humain, de proximité, performante et dotée des ressources et moyens d’intervention adéquats».
L’enquête touche l’économie sociale du marché, un principe qui explique le rôle de l’Etat dans une économie. «Afin de préparer un climat des affaires sain, transparent et compétitif favorisant la croissance et l’investissement, l’Etat doit opter pour une réforme de fond permettant aux entreprises de se concentrer sur leur activité principale de création des valeurs et des emplois sans qu’elles soient handicapées par des procédures administratives lourdes».
M. Dix a fait remarquer que l’administration tunisienne a certes un rôle indéniable dans le développement économique, social et culturel de la société tunisienne, mais malgré tous les efforts déployés, il y a encore du travail à faire.
Au final, il a estimé que l’enquête a montré que le maillon le plus faible dans l’administration publique en Tunisie ce sont les municipalités. De ce fait, la décentralisation va certainement jouer son rôle dans l’amélioration du service.
Impact positif sur le climat des affaires et la compétitivité des entreprises
Pour sa part, Slim Feriani a affirmé que l’administration est un acteur important et incontournable tout au long du parcours entrepreneurial et au niveau de nombreuses activités courantes liées notamment à l’ import/export, aux impôts et autres.
Le rôle de l’administration peut, selon ses propos, prendre plusieurs formes en tant que législateur, prestataire de services, régulateur, facilitateur,… Mais l’important est qu’elle puisse avoir un impact positif sur le climat des affaires et la compétitivité des entreprises. Cela est d’autant plus important que «nous ambitionnons, dans le cadre du nouveau modèle de développement économique de la Tunisie, de consolider les acquis du développement, construire sur l’existant et d’atteindre une compétitivité basée sur la qualité, l’innovation, la réactivité et la spécialisation; pour pouvoir grimper davantage dans l’échelle de la compétitivité mondiale et construire un tissu de PME plus innovantes et à plus forte valeur ajoutée».
Pour réussir ce challenge, en parallèle avec tous les efforts consentis par les entreprises, le ministre a déclaré: «Nous sommes conscients qu’une politique de promotion de l’investissement et du développement de la compétitivité des PME doit se baser sur une administration moderne, efficiente et efficace et au diapason des nouvelles technologies d’une part, et sur un cadre juridique et réglementaire adéquat, d’autre part.»
Et de préciser: «Nous estimons que cette efficacité et efficience de l’administration peut être déclinée autour de quatre axes principaux, à savoir la simplification et la clarté des procédures, la réactivité, la digitalisation, la lutte contre la corruption et la bonne gouvernance.»
Slim Feriani n’a pas manqué de mentionner que bien que plusieurs chantiers aient été déjà engagés ou même achevés, il y a encore du chemin à faire et beaucoup de marge de manœuvre pour l’amélioration. «Toutes les réformes doivent être engagées dans le cadre d’une concertation et du partenariat public-privé à tous les niveaux.»
Interpellé par l’economistemaghrébin.com sur les priorités de son ministère, notre interlocuteur a estimé qu’il faut travailler plus et avoir des résultats. «Le mot d’ordre est de booster, dynamiser l’équipe du ministère et les équipes des institutions sous tutelle et de réaliser des choses concrètes.»
Parmi les priorités citées par le ministre: donner le focus aux industriels et aux PME; – élaborer une stratégie nationale pour les PME; – être innovateur et créatif; – faire du «Think outside the box»; – encourager la formation de clusters et de groupements économiques; – encourager les financements innovateurs comme le «crowdfunding»…
En guise de conclusion, M. Feriani nous a indiqué: «Officiellement ministre de l’Industrie et des PME à partir de demain, suite au vote de confiance de l’ARP, je vais mettre en place ma stratégie qui sera fin prête dans les jours qui viennent.»
PME: évaluation et attentes des administrations publiques
La deuxième édition de l’enquête a été réalisée par le CJD et la KAS sur un échantillon de 500 PME opérationnelles dans 24 gouvernorats tunisiens, dont l’âge moyen de création est de 18 ans, et ce, pendant la période allant du 25 octobre au 07 novembre 2017.
Les résultats de l’enquête ont démontré que 76.3% des PME sondées considèrent que l’administration publique représente un obstacle sévère, majeur ou modéré contre seulement 15,3% qui considèrent qu’elle ne représente pas un obstacle.
En se basant sur l’évaluation des répondants sur la satisfaction globale, l’efficacité, la digitalisation, la rapidité du service, l’accueil du personnel en contact et la clarté des procédures, aucune des administrations n’atteint les 50% d’évaluation positive par les PME.
Ainsi, au plan de l’évaluation positive de l’«efficacité», dans le Top 3 des administrations publiques figurent l’INNORPI avec 47,1%, l’APII avec 44,8% et le Bureau de l’emploi BNEC avec 39,3%. Le dernier rang est occupé par la Municipalité avec 26,7%.
Au plan de «l’accueil du personnel», le CEPEX, l’APII et l’INNORPI s’affichent aux trois premières positions avec respectivement 45,1%, 39,2% et 38,8%. La Municipalité est aussi au dernier rang avec 25,8%.
Au plan de la «rapidité du service», la BCT, l’APII et l’INNORPI sont classées les trois premiers avec respectivement 42,4%, 35,2% et 33,6%. A la dernière position figure la Municipalité avec 25,4%. Sachant que le taux de la BCT passe à 25,5% d’évaluation positive chez les entreprises de services et à 31.7% chez les entreprises de taille moyenne.
Au plan de la «clarté des procédures», dans le Top 3 figurent l’INNORPI avec 51,2%, la BCT avec 43,1% et l’APII avec 41,7%. Le dernier rang est occupé par les Bureaux des Douanes avec 30,3%.
Au plan de la «digitalisation», les Recettes des Finances, la BCT et la CNSS s’affichent aux trois premiers rangs avec respectivement 60,5%, 51,3% et 50,7%. Au dernier rang figure le Tribunal de première instance avec 16,9%.
Quant à la «satisfaction globale», les PME sondées ont évalué positivement l’INNORPI avec 31,6% (1ère), le CEPEX avec 31,2% (2ème) et le BNEC avec 27,8% (3ème). Les bureaux de contrôle des impôts viennent en dernier avec 13,1%.
De ce fait, dans le Classement global des administrations publiques, l’INNORPI, l’APII, les Recettes des Finances et le BNEC ont atteint respectivement les scores de 64, 62, 62 et 60/100. La Municipalité est dernière du classement avec un score de 51/100. Sachant que le score moyen des administrations publiques tunisiennes est de 58/100.
Les résultats de l’enquête ont fait ressortir que 23% de cas de corruption ont été constatés lors des opérations d’import/ export, 19,4% lors des opérations de participation ou de gain des marchés publics, 18,5% lors des opérations de prestation de services et 15,9% lors des opérations d’inspection de contrôle.
Au volet des actions prioritaires visant à améliorer la relation PME-administrations publiques, 23,7% des PME sondées ont favorisé la digitalisation, 23,3% l’amélioration de la qualité des services et 21,8% la transparence des procédures administratives.
En conclusion, il a été constaté que dans le top 3 des administrations publiques figurent l’INNORPI, l’APII et les Recettes des Finances, mais aucune administration n’atteint des scores satisfaisants. L’INNORPI se distingue légèrement en termes d’efficacité et de clarté des procédures. L’APII se distingue en termes d’efficacité et de l’accueil chez les entreprises industrielles. Et les Recettes des Finances se distinguent légèrement par rapport aux autres administrations en termes de digitalisation. Pour la Municipalité, elle est considérée comme la moins performante en termes de rapidité, d’accueil et de rapidité du service.