La dichotomie artificielle représentée par le binôme salaires-profit a de tout temps existé entre patronat et salariés – le premier cherchant à les maintenir bas pour plus de profit et les seconds à les relever pour davantage de bien-être – et est à la base du succès ou de la déroute de tout système économique.
Dans l’activité économique globale, les salaires représentent un débouché et une opportunité de commercialisation des produits fabriqués pour les entreprises travaillant sur le marché local.
C’est un fait que la demande de consommation est tributaire du niveau des salaires. Vouloir maintenir ces derniers bas à tout prix finira par se traduire pour les patrons « court-termistes » en un manque de débouchés qui les obligera à plus ou moins longue échéance à mettre la clef sous le paillasson.
Si les entreprises veulent prospérer, elles ont grand intérêt à voir la prospérité nationale équitablement partagée pour un retour sur « investissement » rapide et une croissance soutenue.
La circulation de l’argent génère à chaque cycle des bénéfices dont l’accumulation ne fera qu’augmenter la richesse nationale et les bénéfices des uns et le bonheur des autres consommateurs.
Pourquoi donc autant de cinéma autour des salaires et lors des négociations sociales ? Pourquoi, accordons-nous une importance disproportionnée à un phénomène si ordinaire ?
Chaque fois que l’ on évoque les salaires un tollé est soulevé. Le revenu du capital ou du travail sont si imbriqués l’un dans l’autre que l’on devrait plutôt discuter d’autre chose, comme la productivité, le rendement, la répartition des richesses…
La conscience d’une telle trivialité si évidente est très ancienne. Déjà dans les années 70, Brahim Jamaleddine écrivait: «Les salaires ont de nos jours un rôle de plus en plus moteur, voire déterminant, dans la croissance économique. Le niveau auquel ils tendent confère à la politique des salaires une place de choix parmi les instruments privilégiés de la politique économique et sociale. Non pas tant du fait que dans un souci exclusif d’équité sociale, elle prévoit des dispositifs propres à protéger ou améliorer le pouvoir d’achat des travailleurs que la politique des salaires est considérée comme essentielle mais, surtout, du fait que conçue et établie sur la base de l’évolution de l’économie, elle apparaît comme condition nécessaire à la poursuite d’une croissance soutenue et équilibrée et à la préservation d’un climat propice au développement de la production et à l’amélioration de la productivité. En effet, dans la mesure où une grande partie des revenus liquides provient des salaires, ce sont principalement eux qui déterminent le volume total de la demande et exercent une influence directe sur la production et le niveau de l’emploi. La décennie du développement en Tunisie (1961-1970), bien qu’elle ait permis la réalisation d’une infrastructure économique de base indispensable grâce à un effort considérable d’investissement n’a pu, malgré tout, assurer les conditions d’une croissance économique rapide ni répondre aux exigences d’un développement harmonieux fondé sur la satisfaction des besoins essentiels de l’homme. Le choix délibéré d’investissements intensifs et à rentabilité différée s’est normalement traduit par des sacrifices imposés notamment aux travailleurs qui ont vu leurs salaires gelés et maintenus à un seuil n’autorisant guère la productivité ».
Pour l’histoire, cette situation intenable a détérioré les conditions de travail et l’activité économique s’en est ressentie. Une baisse de la productivité, consécutive à l’insatisfaction des travailleurs, a fini par bloquer tout effort de développement des entreprises.
La réorientation de la politique économique et sociale à partir de 1970 a permis de remettre les pendules à l’heure. Le travail a été revalorisé et un certain équilibre a été établi dans la répartition par la politique contractuelle des salaires qui a marié l’amélioration progressive des niveaux de vie à la croissance de la production.