Dans un pays où l’économie peine à se redresser et la quasi-totalité des voyants du tableau de bord sont au rouge, la crise des caisses sociales ne fait que compléter un tableau sombre.
Un puits sans fond
En réalité, la situation actuelle était prédictible depuis les années 2000. Douze ans auparavant, la CNRPS a enregistré un déséquilibre sans précédent de 13 millions de dinars ! Un luxe par rapport à la situation actuelle. Bien évidemment, les bonnes décisions n’ont pas été prises à temps et le gap n’a jamais cessé de se creuser pour atteindre 119 millions de dinars en 2011 puis 791 millions de dinars en 2016. Une dizaine d’année était suffisante pour compromettre la viabilité du système par répartition. D’ailleurs, en l’absence d’une réforme structurelle, le déficit atteindrait 25 milliards de dinars en 2050. La situation de la CNSS est également critique avec plus de 35 milliards de dinars de déficit à l’horizon 2050.
Malheureusement, les différents gouvernements successifs ont adopté la politique de l’autruche. Ils n’ont pas pu faire mieux que d’ouvrir la porte à la prolongation volontaire de l’âge de la retraite et de combler le déficit par le versement de 800 millions de dinars de l’argent du contribuable en 2016 et 2017. La note devrait se salir encore plus en 2018 où l’apport de l’Etat pourrait atteindre 1 milliard de dinars. Le Gouvernement, dos au mur, a tenté d’atteindre un consensus avec les partenaires sociaux. Il a même annoncé l’augmentation de l’âge de la retraite à 62 (obligatoire) et 65 ans (par choix) dans le secteur public à partir de 2020, avant d’être démenti par l’UGTT 24 heures après. La diversification des sources de financement, l’augmentation de la contribution de l’employé et de l’employeur, la généralisation de la couverture sociale et la création de la Contribution Sociale Solidaire (300 millions de dinars) sont les principaux axes sur lesquels les autorités comptent fonder leurs actions.
Caisses sociales: pas de formule miracle
Même si l’allongement de l’âge de retraite aurait été adopté, l’impact serait limité. Par rapport aux normes en vigueur un peu partout dans le monde, et tenant compte de l’allongement de l’espérance de vie du tunisien, une simple révision à la hausse des années de cotisation et à la baisse des pensions ne vont qu’améliorer partiellement les ratios des caisses sociales. De plus, une période transitoire jusqu’à 2020 coûterait environ 3,7 milliards de dinars.
Faut-il plutôt viser le cap des 65 ans, avec une application dès 2018, ou encore intervenir avec des mesures plus radicales ? A notre avis, il convient de réviser le mode de calcul de la pension de retraite de sorte à englober toute la période de cotisation et non plus les 10 dernières années d’activité. Le point sensible des régimes spéciaux doit être traité afin de créer un régime unique équitable. Il faut également montrer de la fermeté envers les employeurs qui ne déclarent pas leurs salariés et améliorer les procédures de recouvrement des arriérés des cotisations auprès des entreprises. Il s’agit de mesures primordiales, nécessaires mais pas suffisantes. Se contenter d’une reforme paramétrique ne fait que retarder le naufrage et alourdir les coûts.
Ainsi, introduire un pilier par capitalisation est une partie de la solution. Il faut développer et vulgariser la notion de l’épargne retraite pour neutraliser la réduction des pensions servies par les caisses sociales à long terme. Faire participer les compagnies d’assurances privées serait l’opportunité de développer l’industrie de la gestion d’actifs qui peut constituer un tremplin pour le développement économique. Il ne faut pas oublier que l’épargne longue, ou ce qu’on appelle le « slow money », est généralement investie dans les infrastructures et les énergies renouvelables, deux facteurs essentiels de la croissance économique.
Pour le moment, la stratégie d’investissement est l’un des points faibles du système actuel. Si nous prenons le cas de la CNSS, nous constatons que pour l’année 2017, les produits de placements nets d’impôts sont de l’ordre de 18,267 millions de dinars pour des cotisations totales de 4,471 milliards de dinars, soit un rendement de 0,4% ! Le rendement moyen sur la période 2015-17 est de l’ordre de 0,64%. Des chiffres inquiétants qui imposent la refonte du processus de gestion d’actifs des caisses sociales.
Des mesures difficiles à faire avaler à la population
Toutes ces réformes ne seront pas la bienvenue par une population déjà en ébullition. Il y’aura des retombées néfastes sur le marché de l’emploi. Avec un taux de chômage élevé parmi les jeunes et les femmes, augmenter la durée d’activité revient à fermer les portes devant le recrutement des jeunes. Bien évidemment, si ceux qui travaillent produisent suffisamment, il y’aura une création de richesse et donc une plus grande capacité à créer de l’emploi. Cela reste théorique au vu de la production moyenne du tunisien. De plus, toucher aux pensions de retraite et l’élimination des régimes spéciaux sont des mesures qui ne passeraient pas avec les partenaires sociaux actuels. Le passage en force par l’exécutif est à écarter puisque toutes ses actions doivent être validées par les signataires de l’accord de Carthage. C’est un cercle vicieux.
Nos responsables sont devant des choix certes, difficiles mais décisifs. Ils ne doivent pas trembler, mais plutôt se comporter comme de vrais hommes d’Etat. Noël Audet a dit : « le timide a peur avant le danger, le lâche au milieu du danger, le courageux après le danger ». A eux donc de choisir leur place.