Le fondamentalisme religieux des salafo-djihadistes qui sévit dans le monde arabe se caractérise par une volonté d’éradiquer le multi-confessionnalisme ou du moins de le combattre.
Pourtant le monde arabe n’a jamais été un monde mono-confessionnel ou assimilable à un monde purement islamique. De plus, l’islam est né dans un environnement géographique et historique où certains Arabes étaient déjà monothéistes, chrétiens ou juifs. Le Coran mentionne explicitement les « gens du Livre », les Juifs et les Chrétiens.
Au sein de la Cité musulmane, ces derniers bénéficient traditionnellement de la « dhimma », statut légal protecteur comprenant des droits (la sécurité et la liberté religieuse) et des devoirs (le versement notamment de deux impôts : la djizia et le kharâj). Comme l’atteste l’histoire du monde arabo-musulman, ce pluralisme fut une source de richesse. Une source de richesse qui ne cesse pourtant de se tarir. L’avenir du multi-confessionnalisme est en question dans le monde arabe.
Dans le monde arabe contemporain, l’essentiel des Arabes non musulmans sont chrétiens ; ils forment la principale minorité religieuse du monde arabe. Il existe 10 à 12 millions d’Arabes chrétiens autochtones (les chiffres sont approximatifs compte tenu de la discordance entre les chiffres des autorités et ceux fournis par les communautés). Une partie du monde arabe est chrétien. Ces Arabes se concentrent dans des espaces circonscrits : en Egypte essentiellement (près des deux tiers) et dans les pays du « Croissant fertile » (Liban, Syrie, Irak et Jordanie). Il s’agit de « Chrétiens d’Orient » ou d’« Arabes chrétiens ». Deux qualifications chargées sur le plan symbolique et idéologique.
La seconde, inspirée par l’idéologie nationaliste, met l’accent sur une identité commune aux communautés confessionnelles (François Zabbal) ; la première a été promue par les missionnaires des premiers siècles de l’Empire Ottoman et induit l’idée (entretenue par la posture protectrice des puissances européennes et le Saint-Siège) que ces minorités entretiennent un lien « extraterritorial » avec l’Occident et que l’« environnement islamique » immédiat leur est hostile. Tous sont arabophones et cultivent une arabité traditionnellement ouverte sur le monde occidental. Pris dans une lutte d’influence, les Arabes chrétiens assurent un trait d’union « civilisationnel » entre l’Orient et l’Occident.
S’il est difficile d’obtenir des données précises sur ces communautés, la tendance au déclin est nette. Outre le plus faible taux de natalité, la raison majeure du recul de la présence chrétienne dans le monde arabe est l’émigration. Initié au début du XIXe siècle, le phénomène n’a cessé de s’amplifier au gré des persécutions et des conflits. Les Arabes chrétiens pâtissent en droit comme en fait de leur statut de minorité, tout particulièrement les Coptes égyptiens.
Les conflits inter-communautaires (au Liban) et le harcèlement des islamistes – des Frères musulmans après les indépendances nationales, contre la communauté chrétienne chaldéenne dans l’Irak post-Saddam Hussein (et dans la Syrie post-Al-Assad ?) – expliquent l’exil de vagues successives de chrétiens d’Orient vers l’Europe, l’Amérique du Nord et du Sud. En se vidant de ses chrétiens, le monde arabe court le risque d’une nouvelle hémorragie, après celle des Juifs arabes.
En dépit d’un ancrage historique, les communautés juives sont en voie de disparition dans le monde arabe et une part non négligeable des communautés chrétiennes a emprunté la voie de l’exil. C’est le futur visage des populations arabes qui est en jeu. En 1948, près de 870 000 Juifs vivaient encore dans la plupart des sous-régions du monde arabe.
Certaines communautés vivaient en Mésopotamie ou en Afrique du Nord depuis plus de 2 500 ans. Pendant l’Inquisition catholique à partir du XVe siècle, les communautés d’Afrique du Nord ont augmenté du fait de l’afflux des Juifs persécutés dans la péninsule Ibérique. Dans les années 1950, ils sont 250 000 au Maroc, 200 000 en Algérie et 100 000 en Tunisie. Ils seraient 100 000 en Egypte, 100 000 en Irak et en Syrie, et 50 000 au Yémen, sans oublier leur présence en Palestine.
Anciennes, ces communautés sont plutôt bien intégrées car elles pratiquent la même langue et partagent un patrimoine culturel commun. La présence juive dans le monde arabe qui était souvent pluri-millénaire est aujourd’hui en voie d’extinction. Il resterait environ 4 000 Juifs au Maroc, 2000 en Tunisie, par exemple. Leur présence dans cette région du Maghreb était souvent plus ancienne que celle des Arabes arrivés avec la conquête arabe du VIIe et du VIIIe siècles.
Avec la montée en puissance des nationalismes arabe et juif, des confrontations inter-communautaires ont éclaté en Palestine entre les deux guerres. Dans plusieurs capitales arabes, les Juifs ont été victimes de pogroms (« Farhoud ») : en Irak en 1941, au Maroc et en Syrie en 1944, à Tripoli en Libye en 1945 et à Alep et Aden en 1947.
Les premiers exilés juifs ont alors quitté les terres arabes. La création de l’État d’Israël en 1948 et le premier conflit israélo-arabe marquent une rupture dans l’histoire des juifs arabes. Des phénomènes convergents et liés entre eux ont amené les Juifs arabes à s’exiler en Israël (par idéal politique et/ou religieux), mais aussi en Europe et en Amérique du Nord.
La montée des nationalismes arabe et juif (sionisme), la création d’un État hébreu, l’indépendance d’États arabes (pour laquelle nombre de juifs ont combattu) ou encore les conflits israélo-arabes ont accéléré un mouvement historique dont les Arabes n’ont pas fini de mesurer le sens et la portée…