L’assassinat lundi 4 décembre du président yéménite Ali Abdallah Saleh et de son principal collaborateur, le secrétaire général adjoint du Congrès Général du Peuple (CGP), Yasser Awadi, vient aggraver une situation déjà bien grave.
Les Houthis, alliés de l’ancien président yéménite jusqu’à sa volte-face du samedi 2 décembre, n’ont pas clamé leur innocence, bien au contraire. Ils ont revendiqué l’assassinat et ont même exprimé leur satisfaction de l’ « échec du complot ourdi par le traître. » Car pour eux, Saleh est « un traître qui a tourné le dos à son peuple et tendu la main aux agresseurs saoudiens ».
Cet assassinat a eu pour effet immédiat d’intensifier la guerre au Yémen. Ce ne sont plus seulement les Saoudiens qui bombardent et qui imposent les blocus aérien et maritime, mais ce sont les Houthis qui se battent maintenant dans les rues de Sanaâ avec les militants du CGP et les partisans de l’ancien président qui crient vengeance.
Cette mort brutale vient mettre fin à près de quarante ans de domination de la scène politique yéménite par Ali Abdallah Saleh. C’est en 1978 qu’il était devenu président. Il avait joué un rôle central dans l’unification du pays, divisé alors pendant des décennies entre le Yémen du sud avec pour capitale Aden et le Yémen du nord avec pour capitale Sanaâ. L’unification du Yémen fut accomplie en 1990, quand Ali Abdallah Saleh était le président du Yémen du nord. Il devint président du pays unifié et le restera jusqu’en 2012, date de son abdication sous la pression de la rue, agitée par ce que l’Occident appelle le « printemps arabe ».
Le destin du Yémen aurait été tout autre, si ses riches voisins avaient accepté sa demande de candidature au Conseil de Coopération du Golfe que l’Arabie saoudite et les cinq émirats pétroliers qui l’entourent avaient créé en 1981. Dans l’esprit des monarchies pétrolières, le Yémen, ce pays pauvre, avait eu l’audace de vouloir faire partie des pays riches, et ne pouvait donc mériter qu’un refus méprisant.
Le ressentiment que devaient légitimement ressentir les Yéménites n’avait pas empêché leur président d’avoir pendant de longues années de bonnes relations avec l’Arabie saoudite qui l’avait aidé dans sa guerre contre les Houthis. Car, en 2009, cette tribu chiite du Yémen s’était violemment révoltée et avait entrepris de déstabiliser le gouvernement d’Ali Abdallah Saleh.
Dans un discours resté célèbre, il avait déclaré alors : « Nous ne construisons pas d’écoles, mais nous achèterons tout l’armement qu’il faut pour écraser les Houthis ». Et de fait, grâce notamment à l’aide des Saoudiens, il avait pu maîtriser la révolte des Houthis.
En 2012, il fut évincé du pouvoir mais ne se déclara pas vaincu. Bien que, selon lui, « l’exercice du pouvoir équivaut à une danse sur la tête des serpents », il cherchera à récupérer le pouvoir perdu en s’alliant avec ses anciens ennemis, les Houthis. C’est une alliance de circonstance qui n’est basée ni sur des principes ni sur un projet commun d’avenir. Ali Abdallah Saleh et les Houthis qui s’étaient battus à mort entre 2004 et 2010, se détestaient cordialement, mais lui avait besoin d’eux dans l’espoir qu’ils l’aident à reconquérir le pouvoir et eux avaient besoin de lui dans l’espoir qu’il les aide à faire face à leurs ennemis mortels : les Saoudiens.
L’alliance entre les deux parties a duré le temps de leur inimitié commune envers l’agresseur saoudien. Le jour où Ali Abdallah Saleh s’est retourné contre les Houthis, exhortant ses partisans à les combattre et annonçant sa prédisposition à négocier avec les Saoudiens, il était loin de savoir qu’il signait son arrêt de mort. Et de fait, deux jours après, il est assassiné.
La mort brutale de l’ancien président yéménite a déjà plongé le pays dans un surcroît de violence. Les combats font rage dans les rues de Sanaâ et les habitants de la capitale sont terrés chez eux, ne sachant trop que faire face à la multiplication des désastres qui les frappent depuis la déstabilisation du pays en 2012. Après les bombardements non-stop des Saoudiens, le choléra, la famine et les blocus aérien et terrestre, il ne manque plus aux Yéménites que l’assassinat du président qui les a gouvernés pendant un tiers de siècle et qui risque de déboucher sur une logique infernale de vendetta.
Ali Abdallah Saleh restera dans l’histoire comme une figure dualiste. Il fut le symbole de l’unité du pays pour avoir joué un rôle clé dans sa réunification, mais il fut aussi le symbole de son déchirement pour avoir gouverné pendant un tiers de siècle « en dansant sur la tête des serpents ».