On ne peut qu’être consterné par la décision de l’Union Européenne de placer la Tunisie dans la liste des « paradis fiscaux ». Depuis 2011, la Tunisie fait des efforts considérables pour implanter la démocratie, au milieu de difficultés innombrables, et voilà qu’une décision est prise qui peut ruiner son image sur le plan international et donc la déséquilibrer.
Que des techniciens aient pu proposer sans en analyser toutes les conséquences une telle décision est une chose, mais que des politiques aient pu l’approuver en dit hélas long sur leur manque de discernement et de courage face aux excès d’une déferlante apparemment moralisatrice mais gérée sans recul.
Le Conseil de l’UE à travers cette démarche poursuit un objectif devenu presque une obsession : « promouvoir la bonne gouvernance dans le monde entier, afin de maximiser les efforts pour prévenir la fraude fiscale et l’évasion fiscale ». Le ministre des finances de l’Estonie, qui assure actuellement la présidence du Conseil, résume ainsi le projet, séduisant dans son principe, plus discutable dans ses modalités: « Nous allons régulièrement revoir et mettre à jour la liste dans les années à venir. Notre objectif est de faire en sorte qu’une bonne gouvernance fiscale devienne la nouvelle norme. « .
On reproche à la Tunisie de ne pas avoir pris des mesures significatives pour remédier aux insuffisances identifiées sans engager de dialogue significatif sur la base des critères de l’UE. En novembre 2016, le Conseil européen a posé les trois critères suivants :
- Se conformer à la transparence fiscale ;
- Pratiquer une taxation équitable ;
- Prendre des mesures contre l’érosion de l’assiette fiscale et le transfert des bénéfices.
Selon l’UE, la Tunisie a un régime fiscal préférentiel néfaste et ne s’est pas engagée à le modifier avant le 31 décembre 2018. Or c’est précisément sur ce dossier que le gouvernement tunisien travaille actuellement d’arrache pied. Mais la tâche n’est pas si simple vu la singularité de la situation que traverse le pays.
Le Conseil de l’UE précise : « Pour les juridictions touchées par des catastrophes naturelles, il a été convenu de suspendre temporairement le processus. Cela concerne en particulier les pays touchés par les ouragans en 2017″. Ces pays seront invités à répondre aux préoccupations identifiées dès que la situation s’améliorera, en vue de les résoudre d’ici la fin de 2018. D’ici février 2018, ils seront contactés pour préparer les prochaines étapes.
Etonnant donc que le Conseil n’ait pas pris en compte la situation exceptionnelle de la Tunisie. Ce pays, pour ceux qui l’auraient oublié, est à proximité de pays dévastés par les révolutions, et il s’efforce de mettre en œuvre une vraie gouvernance démocratique. Or il a été touché par un « tsunami » politique. Il ambitionne un taux de croissance de 2,3% en 2017 et aspire à un taux de 3% pour 2018 pour redonner de l’espoir à une population qui commence à douter des bienfaits de la démocratie et pour s’attaquer au chômage de masse. N’aurait-il donc pas droit à une suspension temporaire du processus afin d’éviter l’aggravation de la situation ?
Non seulement les investisseurs internationaux mais aussi les agences gouvernementales d’aide au développement risquent d’être ébranlés dans leur confiance à l’égard de ce pays. De nombreuses initiatives lient fortement nos deux pays. On peut citer le premier fonds franco-tunisien de capital investissement qui investit dans des PME françaises qui veulent se développer en Tunisie et des PME tunisiennes qui veulent se développer en France avec les financements de Bpifrance et de la Caisse des dépôts tunisienne. Ce fonds est co-géré par Africinvest et Siparex.
L’objectif : créer de l’activité entre les deux pays et des emplois dans chacun d’eux. Que faire désormais ? Poser notre crayon ou continuer ? Bien sûr la réponse est : nous continuons.
Nous invitons donc les investisseurs à ne pas tenir compte de cette décision maladroite et inique et les États de l’Union Européenne à prendre conscience de leur responsabilité en la retirant au plus vite. Il y va de la stabilité géopolitique de l’espace méditerranéen.
* Christian de BOISSIEU, Professeur émérite à l’Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)
Dominique NOUVELLET, Administrateur du groupe Africinvest et Fondateur du Groupe Siparex
Dhafer SAIDANE, Professeur à SKEMA Business School et Membre du Conseil d’Analyse économique auprès du gouvernement tunisien.