La Tunisie n’est pas un pays producteur de pétrole, mais cela n’empêche que la question énergétique demeure un enjeu majeur pour le pays. Le débat sur la transition énergétique est décisif dans le développement inclusif. Où en sommes-nous à ce propos ? Tel est en partie le débat organisé par le think tank Solidar ayant pour thème : « Transition énergétique en Tunisie, défis et opportunités pour l’Europe et la Méditerranée ».
Qui dit transition énergétique, dit également consommation énergétique. Celle-ci a toujours enregistré une augmentation régulière corrélée au développement économique, industriel et humain. Un point de croissance nécessite une augmentation de consommation énergétique de 2%.
Lobna Jeribi, présidente du think-tank Solidar Tunisie, a évoqué l’importance de la transition énergétique qui, selon elle, est aussi importante que les impacts des changements climatiques sur le pays. Désertification des sols, réchauffement climatique, raréfaction des ressources hydriques…sont autant de défis titanesques à relever.
Par conséquent, réfléchir à une politique énergétique durable et renouvelée en Tunisie constitue, non seulement un impératif pour le développement, mais également une manière de travailler et contribuer au bien-être du citoyen et à la stabilité et à la sécurité du pays.
Mme Jeribi rappelle que notre énergie est basée à 90% sur le pétrole dont plus de la moitié provient de l’importation et 80% du gaz. Ce qui provoque un gap structurel au niveau du déficit à la fois de la balance commerciale et énergétique.
Priorisation
Il y a un plan d’action à mettre en œuvre en urgence pour que les énergies renouvelables prennent le relais, atteindre les objectifs de 2020, à savoir 12% de production d’énergie renouvelable et 30% en 2030.
De plus, la facture énergétique ayant atteint des seuils difficilement supportables pour l’économie du pays, le redressement impose de rééquilibrer la balance énergétique en réduisant son déficit par la stimulation de la production d’un côté et une meilleure maîtrise de la consommation de l’autre. Il y a également lieu de procéder sans plus tarder à une revue progressive du système des subventions énergétiques qui grèvent dangereusement la balance énergétique.
A cet effet, Mme Jeribi souligne que chaque jour de soleil est un jour perdu pour la transition énergétique. En effet, la non-réalisation de la centrale photovoltaïque est la conséquence du manque de volonté des pouvoirs publics».
Elle a pointé du doigt la subvention énergétique qui s’étend à la quasi-totalité des secteurs économiques ( Agriculture, pêche, industrie, manufacturière, industrie lourde, transports publics et privés, et divers services ) qui sont soit directement ou indirectement subventionnés. L’on n’ose pas imaginer, ajoute Mme Jeribi, ce qui adviendrait si l’on décidait un jour de lever subitement cette subvention.
Pour sa part, Nasr Chakroun, CEO 3S group, lors de son intervention, estime qu’ il faudrait commencer par supprimer les droits de douane, limiter la taille de la centrale à 10 mégawatts, réduire les délais d’autorisation – qui ne dépassent guère les 6 mois à l’échelle internationale – auprès des administrations afin que le marché soit transparent ».
Qu’en est-il au niveau du cadre législatif ?
Selon Lilia Younes Ksibi, députée d’Afek Tounes, les lois qui facilitent l’économie verte sont encore au stade de voeu pieux : « Nous sommes encore en retard par rapport à ces lois puisqu’on a augmenté la fiscalité sur le photovoltaïque de 10% par rapport à l’année dernière soit à 30%. En somme, il y a contradiction entre ce qui est dit et la réalité des textes de loi », regrette-t-elle.
Pour Ameur Laareyedh, président de la commission de l’Energie de l’ARP, il a mis l’accent sur l’accélération des projets de loi pour rattraper les pays qui nous ont devancé à ce niveau.
De son côté, Patrice Bergamini, Chef de la délégation de l’Union européenne en Tunisie, estime que la Tunisie a un fort potentiel en matière de transition énergétique et qu’elle a tout pour réussir, à condition qu’il y ait davantage de lisibilité politique et que la Tunisie fasse le nécessaire pour sortir de la liste grise dès le 23 janvier 2018.
Il déclare: « Les engagements ont été pris de la part de l’UE. Aujourd’hui, il faut les tenir. Travailler avec et pour la Tunisie pour convaincre les investisseurs d’investir en Tunisie. A partir du mois de février il y aura un octroi de 50 millions d’euros dans le compteur Tunisie-UE sur le modèle de coopération et ce pour faciliter la transition énergétique ».
Lors de son intervention, Raimondo De Cardona, Ambassadeur d’Italie en Tunisie, a déclaré que plusieurs plans d’action doivent être renforcés, comme l’interconnexion entre la Tunisie et l’Italie qui sont déterminants dans les projets à venir. « La dimension méditerranéenne est un atout considérable », souligne-t-il.
Par ailleurs, Riadh Mouakher, ministre des Affaires locales et de l’Environnement, est revenu sur le cumul du déficit énergétique s’élevant à 3.6 millions de tonne de pétrole. « Ce n’est pas concevable dans un pays où on veut développer l’industrie. Il faut développer le mix-énergétique à l’horizon 2030 pour atteindre 30%. Or pour y parvenir, il faut un cadre juridique stable, des contrats de rachat transparents ».
Lutter contre le réchauffement climatique
Quant au représentant du Parlement européen, Karl Pincherelle, assistant parlementaire de Gilles Pargneaux MEP, il a fait remarquer qu’à l’horizon 2050, le littoral sera sérieusement menacé. « De ce fait, assurer l’approvisionnement énergétique d’un pays, c’est aussi assurer sa stabilité. Tout l’enjeu c’est de voir comment la Tunisie pourrait mettre en place un cadre réglementaire afin d’obtenir les financements nécessaires pour atteindre le seuil de 30% dans les énergies renouvelables d’ici 2030 ».
Recommandations
Il va sans dire que la transition énergétique est appelée à prendre une place de plus en plus importante dans l’économie du pays. Le think tank Solidar a par ailleurs conclu en recommandant la révision du cadre législatif des énergies renouvelables et sa cohérence avec la loi sur l’investissement et le régime des avantages fiscaux. Il est également nécessaire de lever les barrières administratives et simplifier les démarches en créant un guichet unique qui sera l’interlocuteur unique des investisseurs et en charge de la liaison avec les différents organismes gouvernementaux.
Entre autres recommandations issues de ce colloque : accélérer le projet d’interconnexion sans lequel une action régionale serait difficilement envisageable tout en adoptant une approche plus inclusive à l’endroit des opérateurs et investisseurs qui en tireront grandement profit. Mettre en cohérence et en harmonie les lois et décrets concernant les énergies renouvelables avec les autres textes et lois en vigueur. La loi sur l’investissement a défini la production de l’électricité comme un secteur prioritaire alors que les décrets d’application ont tendance à freiner l’investissement dans ce secteur.