2017 se termine, moins bien qu’elle n’a commencé. Les toutes dernières semaines ont été éprouvantes et source d’inquiétudes. On espérait, en début d’année, une accalmie, un apaisement sur l’ensemble des fronts, des avancées politiques, économiques, technologiques et sociales. Au final, le bilan est très mitigé. Au fond, on est plus déçu que soulagé.
La croissance sort à peine la tête de l’eau, au mieux 2,2%. Pas assez pour soulager les caisses de l’Etat, endiguer le flot des chômeurs qui menace de couper le pays en deux, stopper l’emballement de la dette et l’explosion du déficit extérieur, terrasser l’hydre de l’inflation, et adoucir les conditions de vie des pauvres et des moins pauvres.
Sans croissance – qu’elle soit inclusive ou non – point de salut. Il devient difficile, sinon impossible, de soustraire de la précarité, de la pauvreté et de la misère les exclus d’hier et d’aujourd’hui, qui se recrutent désormais jusque dans les couches périphériques de la classe moyenne. Celle-ci s’effrite et se rétrécie comme peau de chagrin. Le pays perd du coup sa principale force de développement, de régulation et d’équilibre.
La classe moyenne, autrefois symbole de réussite et fierté de notre modèle républicain, est happée et tirée vers le bas, victime qu’elle est de la panne de l’ascenseur social, de l’atonie de la croissance, de l’érosion monétaire sous l’effet décapant de l’inflation, voire de l’altération des valeurs morales qui ne sont plus ce qu’elles étaient. La classe moyenne, qui part en lambeaux est, d’une certaine manière, à l’image du dinar dont elle subit le même sort, en même temps que les effets douloureux de sa dépréciation que rien ne semble arrêter.
En 2017, les fruits n’étaient pas à la hauteur de la promesse des fleurs. Ils se sont même abîmés plus qu’on pouvait le craindre. Il s’est, en effet, créé peu de richesses. Et, ironie de l’histoire, elles étaient mal réparties, autant dire de façon très inégalitaire. Le risque n’est pas exclu qu’il n’y aurait, à l’allure à laquelle se désagrège la classe moyenne, que des riches d’un côté, et des pauvres de l’autre.
La fracture sociale n’a jamais été aussi grande et aussi chargée de tensions, de menaces d’explosion. Les déceptions, les frustrations se lisent aussi dans la colère de cette majorité autrefois silencieuse, mais qui ne l’est plus. Et le fait savoir. On ne tardera pas à en avoir confirmation au soir des élections municipales prévues pour le 6 mai prochain, si rien, d’ici là, ne viendra les perturber ou les renvoyer aux calendes grecques. Nos politiques semblent tout ignorer des exigences de la démocratie. S’ils ne se ravisent pas, ils découvriront à leurs dépens l’effet ravageur du vote-sanction. Le test des récentes élections législatives partielles a été, à cet égard, un grand moment de vérité. Comme quoi, la machine à perdre est déjà en marche. On ignore d’ailleurs pour qui sonnera le glas, quand tombera le couperet. Il n’est pas assuré non plus que le pays en sorte vainqueur.
Il pourrait faire les frais du vote de la colère. Le bien, en effet, n’est pas toujours l’ennemi du mal. Puissent les toutes prochaines élections municipales conforter l’unité du pays, renforcer notre socle démocratique et les nécessaires équilibres politique, économique et social. On voudrait qu’elles soient une véritable école de la démocratie pour donner de ce pays et de nous-mêmes l’image qui doit être la nôtre. Si on y parvient, on se serait donné le meilleur stimulant pour doper nos efforts et retrouver au plus vite les chemins d’un développement harmonieux. C’est de notre avenir dont il s’agit.
La liste de nos souhaits s’allonge d’une année à l’autre, à mesure que s’abîment et se dégradent nos équilibres macroéconomiques, se lézarde notre base productive et se fissure notre tissu social. Les sept dernières années furent loin d’être un long fleuve tranquille. Les entreprises sans protection, sans soutien et sans accompagnement ont beaucoup souffert du manque d’autorité de l’Etat, sinon de son effacement et de ses éclipses à répétition. Certaines de nos entreprises publiques, autrefois fer de lance de l’économie, sont aujourd’hui en état de mort clinique. Elles créent moins de richesses et de valeurs qu’il ne leur en faut pour payer leurs salariés pléthoriques. Elles produisent de moins en moins, sans grand souci de qualité, et recrutent de plus en plus, sous la pression et les menaces. Fini le temps où elles s’acquittaient de leurs impôts et des charges sociales. Et alimentaient de leurs bénéfices le Trésor public. Au vu de leur bilan, on découvre qu’elles ne sont là que pour ponctionner l’Etat, c’est-à-dire le contribuable. Un grand nombre d’entre elles n’ont d’entreprise que le nom.
Mais 2017 ne fut pas que cela. Il y eut aussi ce rayon de soleil dans la grisaille du moment : l’annonce du retour de l’Etat. Youssef Chahed a enfourché son cheval de bataille, sabre en l’air, pour sonner la charge contre la corruption, les foyers de misère et de mal développement. On voudrait que les vents de cette campagne salvatrice soufflent aussi sur les entreprises publiques, aux états financiers désastreux, avant qu’ils n’altèrent définitivement la crédibilité de la puissance publique. Que peut-on espérer de mieux que de voir ces entreprises revenir à la raison et à une plus grande rationalité économique ? L’honneur des entreprises publiques est d’être partout le laboratoire d’idées, d’avancées économiques, sociales et managériales. Elles ont les moyens et la durée. Notre voeu est qu’on en finisse avec ce gâchis, qui détruit plus de valeurs qu’il n’en crée.
Les salariés, où qu’ils soient, sont un acteur majeur de la transformation économique et sociale. Il leur incombe de défendre leur propre outil de production et les emplois productifs contre toute dérive libertaire ou liberticide. Pour assurer la pérennité de ces entreprises qui n’ont pas vocation à vivre aux crochets du contribuable. Ce genre de hold-up, de casse sociale, est voué à l’échec. Les salariés doivent éviter le piège de celui qui joue à,qui gagne aujourd’hui perd demain. Les salariés des entreprises publiques et les fonctionnaires ne sont ni meilleurs, ni moins bons que ceux du secteur privé. Ils doivent simplement se soumettre aux mêmes impératifs de gouvernance. Et se convaincre que le salaire n’est, ni plus, ni moins, que la productivité tombée ces dernières années en déshérence.
Il n’y a aucune fatalité à la régression économique, et moins encore à l’échec. L’ennui est que nous avons été les artisans de notre propre déclin. Nous reculons, alors que le regain de croissance se confirme dans le monde, et notamment chez nos principaux partenaires de l’Union européenne. Triste constat ! Les vents n’ont jamais été aussi favorables pour une reprise de l’économie. Dommage qu’on soit resté à quai, incapables de détacher nos amarres. Nous nous sommes mis en difficulté, en raison d’un déferlement de contestations qui a plombé l’appareil productif – celui d’Etat surtout -, découragé et fait chuter l’investissement. Nous avons laissé se développer cette guérilla économique qui paralyse la production de phosphate et de pétrole, principales richesses à l’export du pays. Au lieu de quoi, on s’est mis à fabriquer des déficits et de la dette.
La dette pour seul substitut aux débrayages, aux sit-in, aux blocages des routes et des voies de communication ! Une entreprise de démolition en règle, que cache mal une contestation sociale qui, si elle est légitime, n’en est pas moins illégale, aux origines et aux desseins politiques troubles, sinon criminels. On a, sept années durant, accumulé une montagne de dettes, plutôt que de mettre en valeur nos montagnes de phosphate et nos gisements de gaz et de pétrole. Conséquence, il nous faut impérativement emprunter à plus de 7%, si tant est qu’il nous soit possible de sortir sur les marchés, quand le loyer des devises est proche de zéro dans la zone euro. On ne peut s’en prendre qu’à nous-mêmes. Si nous voulions agencer notre déclin et saborder notre jeune démocratie, nous n’agirions pas autrement.
2017, hélas, n’a pas mis fin à ces dérives dangereuses, aux conflits récurrents, sous couvert de contestation sociale. On ne pourra pas éviter ces écueils en 2018. L’Etat serait dans l’obligation de sanctuariser et de sécuriser l’appareil productif public, dans ce qu’il a de plus stratégique, pris en otage par des calculs de politique politicienne. Peut-on laisser piétiner ainsi la souveraineté nationale, l’intérêt supérieur du pays sans réagir, comme l’aurait fait n’importe quelle démocratie occidentale ?
Il y a d’autres moyens, d’autres voies d’action, pour réhabiliter, impulser le développement des régions déshéritées qu’en poussant à la faillite les entreprises, devenues le réceptacle de la misère des régions. Elles ne peuvent pas faire plus pour leur environnement immédiat que ce qu’elles leur doivent au titre de leurs responsabilités sociales. A charge pour les représentants de l’Etat de porter ce discours avec la pédagogie, les mots et les gestes qu’il faut : ils sont tenus, ils ont même l’obligation de mettre en avant cette ligne de démarcation qui sépare les impératifs financiers de l’entreprise du rôle et de l’action publics dans la promotion des régions.
Nous nous employons à multiplier les obstacles, là où nos compétiteurs s’efforcent et s’évertuent de les éliminer. La sanction ne se fait pas attendre : nos parts de marchés sont laminées à l’international, sans que nos entreprises puissent faire barrage aux concurrents étrangers, qui accaparent notre marché et détruisent nos emplois. La désindustrialisation avance au rythme de la désertification du pays.
Nulle part il n’était dit ou écrit que notre site de production, jadis si attractif et largement compétitif, connaisse un tel sort, ni que le pays soit livré de cette manière à la convoitise des importateurs. L’agressivité commerciale de nos compétiteurs n’en est pas l’unique raison. La vérité est que nous avons nous-mêmes organisé notre propre repli et cédé du terrain. Nos entreprises ont baissé les bras, désorientées qu’elles sont par l’instabilité fiscale et les incohérences bureaucratiques d’une autre époque. Elles ont été déstabilisées jusqu’à être assommées par les revendications sociales. L’Administration contrôle, ponctionne et sanctionne plus qu’elle n’impulse, ne soutienne et n’accompagne. Les effets ravageurs de la corruption ont fait le reste.
Qu’est-ce à dire, sinon que le pays conserve toutes ses chances de réussite. Il nous suffit de mettre fin à nos dysfonctionnements et à notre acharnement à nous détruire pour voir repartir la machine. Elle démarrera d’autant plus vite qu’elle sera synchronisée avec la reprise de l’économie mondiale, qui se confirme chez les émergents, comme chez les principales puissances industrielles.
L’espoir est plus que jamais permis. Parce que nous le pouvons. Et parce que les vents nous sont favorables : le prix du baril n’est pas source d’inquiétude, les taux d’intérêts en zone euro sont au plus bas et les cours des matières premières fort assagis. Rien qui puisse compromettre la compétitivité des entreprises. Seule incertitude, la valeur du dinar ! Peut-il remonter en 2018 pour retrouver sa parité d’avant 2010 ? C’est moins la responsabilité de la BCT que celle des entreprises, donc de l’implication des salariés eux-mêmes.
La valeur du dinar ne se décrète pas, elle se construit par la force de notre intelligence et de nos bras. Elle s’inscrit dans les performances de nos unités de production et dans les statistiques du commerce extérieur. Ici aussi, on est fondé de croire que 2018 sera meilleure que 2017. La reprise du complexe phosphatier et de l’activité touristique va renforcer significativement nos réserves de changes et limiter notre recours à l’endettement extérieur. Tout devient alors possible : stabiliser le dinar et peut-être même le voir remonter. Ce qui aura pour effet de faire reculer l’inflation et de donner davantage de pouvoir d’achat aux Tunisiens.
L’espoir, disons-nous, est permis, car rien ne nous condamne à la stagnation, sinon nos propres errements. Une nouvelle chance s’offre à nous : il nous suffit de capitaliser sur le crédit que nous vaut notre printemps démocratique et profiter d’un véritable alignement des planètes, pour rebondir, sans heurts, dans le sillage de la reprise mondiale.
La voie est ainsi libre. Puissions-nous retrouver en 2018 les chemins de l’apaisement, de la paix sociale et d’une croissance forte, durable et inclusive. Oui, nous le pouvons, alors, nous le devons. Il nous suffit de ramer tous dans la même direction. C’est notre voeu le plus cher. Bonne et heureuse année.